La présence d’amiante au bâtiment Jean Monnet 1 met le gouvernement devant un défi : trouver 40 000 mètres carrés de surface de bureaux. Vite

Peur panique sur JMO1

d'Lëtzebuerger Land vom 11.07.2014

Amiante Rien que le terme fait sursauter dans le monde du travail, tellement ce silicate de magnésium et de calcium utilisé dans les fibres isolantes est synonyme de danger hautement cancérigène. Le bâtiment Jean Monnet 1 de la Commission européenne, construit en plein boom de l’amiante, en 1975, en regorge à de nombreux endroits, c’était connu depuis de premières études sur le sujet en 1997. Des mesures avaient alors été prises, de le recouvrir par exemple, et de marquer les endroits les plus infestés.

Mais à la fin de la semaine dernière, l’histoire a pris un nouveau tournant avec la publication, par l’Union syndicale, du rapport d’audit Analyse et évaluation du risque amiante réalisé en 2013 par la société bruxelloise VZW Cresept (il est signé au 15 janvier 2014). Un rapport accablant et qui en vient à la conclusion« qu’à l’heure actuelle l’importance de ce risque est inacceptable au regard des codes de bonne pratique et du niveau d’acceptation du risque amiante en vigueur au Luxembourg. Il n’est pas non plus conciliable avec la politique de tolérance zéro annoncée par la commission ». Par de mauvaises pratiques, par exemple des forages irresponsables dans des isolations anti-amiante, plusieurs travailleurs, parfois sous-traitants, « ont été exposés à plusieurs reprises à des doses supérieures aux valeurs admises » note le rapport, ce qui « a engendré un risque pour leur santé qui pourrait, pour quelques-uns d’entre eux, se concrétiser dans quelques années par une pathologie liée à l’amiante » écrit encore l’expert. Les syndicats ont parlé cette semaine de deux cas de maladie qui pourraient être liés à l’amiante, dont un a même entraîné la mort du travailleur.

Réagir vite Dès vendredi et la publication d’un article alarmiste par Le Quotidien, le gouvernement a tenu à se montrer ferme. « Bien sûr que le bien-être et la santé des gens est prioritaire pour nous, a rassuré le ministre des Affaires étrangères et européennes Jean Asselborn (LSAP) lors du briefing après le conseil de gouvernement du 4 juillet. Nous allons être très coopératifs et aider la Commission européenne à trouver une solution rapide. » Car si le rapport d’audit préconise que « la seule solution réaliste pour éliminer complètement le risque pour la santé du personnel (…) est de l’évacuer et de transférer ses occupants vers d’autres sites », Jean Asselborn et Maroš Šefčovič, le vice-président de la CE et commissaire en charge des relations interinstitutionnelles et de l’administration, ont trouvé un accord sur ce point lors de leur entrevue d’urgence mardi 8 juillet. Selon un communiqué commun, il « est préférable d’appliquer le principe de précaution et de quitter le JMO1 dans les prochains mois ». Vis-à-vis des médias, Jean Asselborn a parlé d’un délai de six mois pour trouver des espaces de rechange et a promis qu’en janvier 2015, plus personne ne travaillerait dans le bâtiment Jean Monnet 1.

Si le gouvernement luxembourgeois affiche soudain une attitude aussi volontariste dans un dossier qui traîne depuis des décennies, c’est qu’on n’est plus dans le domaine du rationnel, mais du symbolique : il s’agit avant tout de calmer le personnel – le rapport d’audit parle non seulement de « vives inquiétudes », mais carrément de « psychose » parmi les quelque 1 600 fonctionnaires et employés qui y travaillent actuellement – et de prouver son engagement pour les institutions européennes. « Le gouvernement poursuivra (…) sa politique consistant à garantir des conditions d’accueil, d’hébergement, de travail et de mobilité optimales aux institutions installées sur notre territoire ainsi qu’aux quelque 11 000 fonctionnaires européens actuellement affectés au Luxembourg », lit-on dans l’accord de coalition.

« Ce qui est essentiel pour nous, affirma Jean Asselborn mardi soir au micro de RTL Radio Lëtzebuerg, c’est que pas un seul fonctionnaire de la Commission ne soit retiré du Luxembourg » suite à cette affaire. Dans le communiqué officiel, cela se lit ainsi : « L’État luxembourgeois et la Commission européenne réaffirment leur plus grand attachement à la santé et à la sécurité du personnel, ainsi qu’au maintien de la présence actuelle des services de la Commission à Luxembourg. » Car bien que les traités européens fixent aussi l’implantation de ces sièges des différentes institutions, des pressions d’autres États-membres (ce qui est surtout le cas pour le Parlement européen), le désintérêt des directions de certaines institutions, des mesures d’économie ou des réorganisations structurelles de certains services font que, régulièrement, l’on ronge sur les effectifs de tel service ou de tel autre. Le siège luxembourgeois de la Commission abrite actuellement surtout des services de traduction. L’arrivée de Jean-Claude Juncker (CSV) à la tête de la Commission devrait toutefois limiter un peu la pression dans ce dossier-là, voire, qui sait, même développer la présence de la Commission au Luxembourg ?

Casse-tête chinois La désuétude du bâtiment Jean Monnet est connue depuis des années : construit pour 25 ans, il a dépassé sa durée de vie depuis l’année 2000. En 2002 commencent les négociations entre la Commission et le gouvernement pour la construction d’un nouveau bâtiment, et peu après, en 2006, le Fonds Kirchberg, « toujours soucieux de reloger la Commission », affirma son président Patrick Gillen lors d’une conférence de presse lundi, proposa un terrain à la Commission, près de la porte de l’Europe à l’époque. Un terrain jugé trop exigu par la Commission, qui demande une alternative. Ce sera finalement un terrain jouxtant le Jean Monnet 1. L’accord fut vite trouvé : le gouvernement luxembourgeois mettra à disposition le terrain pour un euro symbolique (valeur de marché alors estimée à 300 millions d’euros) et agira en maître d’ouvrage pour ce giga-chantier de 120 000 mètres carrés pour un budget global d’un peu moins de 400 millions d’euros qu’il préfinancera, pour ensuite vendre le bâtiment clé en main à la Commission (voir d’Land du 12 avril 2013).

Lors de la signature de cet accord de principe, la Commission et le gouvernement luxembourgeois révèrent d’un achèvement du chantier pour 2015. Aujourd’hui, cette date a considérablement reculé. Dans ses projections, le Fonds Kirchberg parle d’un début du chantier en 2016 au plus tôt, un chantier qui, réalisé en deux phases, ne s’achèvera qu’en 2023. Car entre-temps, il y a eu un concours d’architecture dont le vainqueur (une association momentanée entre JSWD, Chaix & Morel et le luxembourgeois Achitecture & Aménagement) a tenté de négocier les conditions de rémunération, jugées dramatiquement trop basses, durant plus de deux ans. Le ministre du Développement durable de l’époque, Claude Wiseler (CSV), s’était montré intransigeant sur le dossier (comme le demandait Bruxelles) – et la Commission a finalement décidé de construire le projet du deuxième (KCAP Jürgen Engel architectes). Mais ce furent encore une fois trois années de perdues, on n’en est finalement qu’à la finalisation des plans, avant l’ouverture des marchés.

Austérité Or, la volonté d’austérité budgétaire affichée dans ces négociations par la Commission pourrait lui coûter cher maintenant. Car si l’annonce de quitter le Jean Monnet 1 fut vite lancée, les deux grandes questions qui se posent désormais sont : où trouver si vite les 40 000 mètres carrés nécessaires pour reloger les 1 600 occupants du bâtiment pollué ? Et surtout : comment le payer – et qui paye ? Dans son Office market report pour le premier trimestre 2014, Jones Lang Lasalle (JLL) estime qu’il y a certes cette année quelque 176 000 mètres carrés de surface de bureaux disponible – mais elles le sont dans de plus petits ensembles, certainement pas dans des mastodontes comme le Jean Monnet. Les plus grands complexes libres seraient à la Cloche d’or et au Kirchberg – ce qui serait la solution idéale pour les fonctionnaires européens. Or, toujours selon JLL, les prix de location au Kirchberg atteint désormais une moyenne de 31 euros le mètre carré. Ce qui, au prix du marché, équivaudrait à un loyer de 1,24 million d’euros par mois, 14,88 millions par an et 134 millions sur les neuf ans que pourrait durer cette situation provisoire, jusqu’à l’achèvement du chantier. Impensable vis-à-vis d’un loyer extrêmement bas au Jean Monnet 1.

La commission ad hoc mise en place dès mercredi matin entre des fonctionnaires bruxellois et luxembourgeois aura donc le double défi de non seulement trouver ces espaces, mais aussi de négocier les prix – qui, dans l’imperturbable jeu de l’offre et de la demande, pourraient même encore flamber. La grande inconnue dans ces négociations est actuellement la position du Luxembourg sur la question de l’argent : si Jean Asselborn promet que « bien sûr, nous aiderons la Commission à trouver des solutions », est-ce que cela implique seulement un soutien logistique et administratif, ou aussi un soutien financier ? Le gouvernement ne veut pas se montrer radin lorsqu’il s’agit de défendre le siège européen, qui vaut au petit grand duché un prestige diamétralement opposé à sa taille. Mais, en temps de mesures d’économie et de pénurie aiguë de logements, cela pourrait s’avérer extrêmement délicat à communiquer.

josée hansen
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