Après des années de tergiversations, le parlement suisse a approuvé fin septembre une loi climat qui prévoit de diviser par deux les émissions carbone du pays d’ici 2030. Pas assez ambitieuse, s’énervent les militants de l’action climatique, qui considèrent qu’il faut, en accord avec les climatologues et les rapports du GIEC, se donner pour but de parvenir à la neutralité carbone nette d’ici la fin de la décennie. Beaucoup trop ambitieuse, tonnent les milieux conservateurs, le patronat, le lobby automobile et tout ce que le pays compte d’adeptes du status quo fondé sur les énergies fossiles.
Sans surprise, au pays de la démocratie directe, cette loi est attaquée par voie référendaire. Incapables de se mettre d’accord sur une stratégie commune de riposte, les organisations engagées dans l’action climatique ont laissé leurs chapitres régionaux définir les moyens de la lutte. Alors que les groupes alémaniques comptent poursuivre leur guérilla contre cette loi clairement insuffisante par les moyens classiques, sit-ins, die-ins, défilés, grèves et autres mobilisations – qui ont d’ailleurs, de l’avis général, notoirement contribué à la sortir de l’ornière –, les romands ont décidé de dégainer l’arme du référendum. Des activistes des sections romandes des cantons du Valais, de Vaud, de Genève, de Neuchâtel, du Jura et du Jura bernois ont commencé à récolter des signatures en vue d’un recours populaire contre une loi jugée « médiocre ». « Nous voulons un référendum pour que les masques tombent », clame Emilie Ferreira, gréviste du climat genevoise.
À l’autre bout du spectre, un « Comité économique » contre la loi climat, composé de représentants de la branche automobile, des transports ou encore du commerce pétrolier, soutenu par le SVP, parti « agrarien » et climatosceptique, le seul à avoir voté contre la loi, a annoncé vouloir lui aussi s’y attaquer par référendum. La loi sur le CO2 est « coûteuse et inefficace », argumentent-ils.
Tout ce que la Suisse compte d’éditorialistes « raisonnables » est tombé à bras raccourcis sur les francs-tireurs romands. « Ils ne peuvent que perdre s’ils concluent une alliance impie avec les forces politiques qui poursuivent un objectif exactement opposé au leur », a ainsi estimé le Tagesanzeiger zurichois sous la plume de Janine Hosp, ajoutant de manière quelque peu sentencieuse : « Les professionnels de la politique le savent : l’allure la plus rapide pour avancer en Suisse est celle des petits pas ».
La lenteur des mœurs politiques suisses est en effet proverbiale. Les militants romands prennent certes le risque d’être assimilés aux défenseurs du status quo à l’origine du « référendum pétrolie » en appelant à voter contre la loi climat. Mais, ce faisant, ils dénoncent simultanément la gangue qui paralyse si efficacement la Confédération et y empêche toute avancée en phase avec l’urgence climatique. •