Pour se perpétuer, un système fondé sur l’exploitation à outrance des ressources et l’externalisation des nuisances qui en résultent a besoin de zones à sacrifier. Selon les cas, ces zones servent de dépotoir, sont exposées à des effluves toxiques ou abandonnées aux risques d’inondation ; souvent, on y fait des économies sur les infrastructures.
L’habitant d’une zone rouge a du mal à obtenir un prêt hypothécaire ou de bonnes conditions d’assurance. Les inégalités de revenu, de patrimoine et d’exposition aux risques environnementaux sont ainsi exacerbées. Aujourd’hui, une famille noire a en moyenne un patrimoine 17 fois inférieur à celui d’une famille blanche. Deux Afro-Américains sur trois habitent à moins de 45 kilomètres d’une centrale à charbon. Les Noirs et les Latinos ont aussi de bien plus fortes chances que les Blancs d’habiter non loin d’usines dites « superfund », similaire à la classification européenne Seveso. Le redlining, cette création délibérée de zones à sacrifier, est une parfaite illustration de l’injustice environnementale qui règne à ce jour aux États-Unis.
Comme par hasard, aux États-Unis, ces zones sacrifiées coïncident presque toujours avec des régions, des villes ou des quartiers habités majoritairement par les populations afro-américaines ou latinos. On met communément cette ségrégation territoriale sur le compte de phénomènes tels que l’abandon des centres-villes par les catégories aisées au profit du « sprawl » suburbain, la spéculation immobilière ou la gentrification, bref de forces du marché aléatoires. Or, des recherches menées ces dernières années ont mis en évidence que si ces facteurs jouent un rôle, un autre y a historiquement contribué dans une grande mesure : le zonage délibéré opéré par des assureurs, des banquiers et des promoteurs immobiliers en fonction des risques identifiés pour chaque secteur.
Cette pratique, dite « redlining », a littéralement gravé les discriminations racistes dans le tissu territorial et pérennisé la vulnérabilité des populations habitant les lieux défavorisés ainsi définis. Elle existe depuis les années 1930, relève Mapping Inequality, un centre de recherche de l’université de Richmond.
On connaît bien l’exemple de la ville de Flint, près de Chicago, habitée majoritairement par des Noirs, où des négligences administratives ont entraîné l’empoisonnement au plomb de la population pendant des années du fait de la corrosion des canalisations. Il ne fait guère de doute que cette situation résulte d’attitudes racistes, même si elles sont plus ou moins occultées. Mais Mapping Inequality a montré qu’à ses débuts, le redlining opéré à l’époque par une entité fédérale aujourd’hui disparue, la Home Owners’ Loan Corporation (Holc), ne s’embarrassait pas d’états d’âme et justifiait ses découpages par un discours ouvertement raciste. Holc demandait ainsi à ses agents de quantifier le degré d’« infiltration » de quartiers par des « nègres » et des « personnes nées à l’étranger ».