N’en déplaise à Brassens, les enterrements d’antan existent toujours. Samedi dernier, le Grand-
Duché a ainsi enterré en grande pompe le souvenir du centenaire de son éphémère république.
Pour les républicains comme pour les anticléricaux, il en va des grands-ducs comme des papes : ils détestent les bons souverains comme ils maudissent les pontifes exemplaires. Votre serviteur par exemple préfère de loin le Grand-Duc actuel à son défunt père, et comme Marcello Mastroianni dans le film de Scola, il est resté sagement à la maison lors des funérailles nationales du « Prënz Jang ». Comme tous les républicains, Yvan voue une hainamoration aux dynasties régnantes, un sentiment donc où se mêlent amour et haine, respect et mépris, envie et gratitude. Ce clivage se reflète dans sa réserve contre feu le Grand-Duc Jean et son affection pour son fils Henri. En effet, le souverain défunt, et Dieu sait si on l’a assez clamé urbi et orbi, était un chef d’État exemplaire : discret sur sa personne, se pliant avec grâce au protocole, sanctionnant sagement les lois que le gouvernement lui soumit, louvoyant avec sa foi quand il signa celle sur la dépénalisation de l’avortement, approuvant tacitement la mésalliance de son héritier, renonçant en martyr à la sainteté de sa personne, bafouillant notre idiome national comme un immigré, libérant son pays du joug de l’oppresseur avec le panache du jeune premier qu’il fut alors, mourant enfin à un âge biblique. Il fut un des nôtres sans en être un.
Cet officier des Irish-Guards maniait la poudre sans l’avoir inventée : en monarque exemplaire il la jetait aux yeux de ses sujets qui ne cessèrent d’en redemander. À une époque où le palais n’employait et ne congédiait pas encore les attachés de presse, il fit de la communication comme Monsieur Jourdain de la prose. En un mot : il inaugura les chrysanthèmes et enterra les aspirations républicaines.
Et c’est justement pour cela que, contrairement à feu son père, votre serviteur adore le Grand-Duc actuel. Depuis sa prise de rôle, avec ses joyeuses entrées et tristes sorties, Henri I s’essaya plus d’une fois à scier la branche sur laquelle il trône. Si, comme nous l’avons dit, son père était des nôtres sans en être, le fils se veut être comme nous. Il brandit ses diplômes universitaires, sa femme exhibe ses querelles avec la défunte belle-mère, le couple essaie de vendre les bijoux de la couronne et veut brader les forêts des chasses grand-ducales, bref, notre Grand-Duc veut teindre son sang bleu en rouge. Mais si le bleu est la couleur de la Vierge Marie, le rouge est la marque du peuple. Et à ce petit jeu-là, celui-ci finira peut-être enfin à s’apercevoir qu’il peut (se) gouverner tout seul.
Mais, en attendant, la ferveur roturière et protocolaire qui a accompagné le « Prince Jean » dans sa dernière demeure a plébiscité le plus populaire des souverains de la lignée : ce fut, pour employer les mots de Gide à propos de Victor Hugo, le Grand-Duc Jean, hélas !