Depuis la disparition de la chapelle de Wim Delvoye, nous n’allons plus au Mudam que quand il pleut. Car, comme le chantait le regretté Brassens, « sans le latin, la messe nous emmerde. » Et ce n’est pas un logo tout neuf qui nous fera y revenir.
Force est de constater que sous sa nouvelle directrice, le Mudam n’est plus un musée d’art contemporain comme il l’a été dans les années Beaud et Lunghi. L’art contemporain vit en effet de son enracinement dans le présent et le passé, dans l’histoire de l’homme et de son art, histoire(s) qu’il interroge et qu’il interprète. L’art contemporain, d’ailleurs, est un pléonasme car, comme le proclame fièrement le Casino - Forum d’art contemporain dans son aquarium, « Tout art a été contemporain. » L’art moderne, par contre, désigne soit une époque de son histoire bien définie, soit il constitue, tout simplement, un oxymore. L’art est contemporain ou n’est pas. L’art moderne, par contre, est une imposture, ou alors, comme actuellement au Kirchberg, une stratégie de communication. Une stratégie qui semble faire table rase de son histoire, hier en cachant des œuvres emblématiques, aujourd’hui en s’attaquant au logo dont les communicants nous disent pourtant qu’il reflète la corporate identity de l’institution. Réécrire l’histoire, déboulonner des statues, rebaptiser des rues et des places, l’histoire ne bégaie pas toujours, parfois aussi elle éructe. Aujourd’hui, le Mudam est en train de devenir enfin, comme son nom l’indique, un musée d’art moderne, à la grande satisfaction de son conseil d’administration et des réactionnaires de la ville. Nomen est omen, et le signifiant Mudam a enfin étendu sa tyrannie sur le signifié de son ADN. Mais, subrepticement, une virgule s’est faufilée entre les mots art et moderne, et le moderne a rejoint la signification que lui attribua Baudelaire : « la modernité c’est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. ». Hélas, le Mudam, aujourd’hui, est un demi-musée qui vit de demi-mesures.
Depuis l’époque de Baudelaire, la modernité est devenue le mot d’ordre d’abord de la réclame, ensuite de la publicité, qui ont lancé en ces temps-là une véritable OPA hostile sur ce terme, jusque-là réservé aux philosophes et aux esthètes. Publicitaires, communicants et autres
consultants veulent faire œuvre de « modernité » en faisant table-rase du passé. Les urbanistes, dans les années 60 du dernier siècle, les ont imités en rasant les villas du Boulevard Royal et en traçant les autoroutes du Kirchberg. Ils ont été imités eux-mêmes, quelques cinquante ans plus tard, par les internautes dont les autoroutes informatiques veulent rendre caducs les « prints », comme ils disent, de Gutenberg. Eh oui, les outils modernes de la communication veulent libérer l’homme d’aujourd’hui, comme l’aspirateur et le lave-vaisselle se proposaient de libérer la femme d’hier.
Tous ces thuriféraires d’une modernité mal comprise se perdent dans la logorrhée des logos qui sont autant de prothèses de l’ego et font peu de cas des thèses des anciens. Mais si l’ego et l’identité sont en perpétuel devenir, à la recherche justement du logos et de la raison, le logo est lui un balbutiement infantile. L’infans, rappelons-le, est un enfant qui n’a pas encore accès à la parole, qu’il est seulement en train de découvrir et d’élaborer en répétant les syllabes des autres. En d’autres mots, le langage de l’ego se construit sur l’écho du langage ambiant. Quant à la logorrhée, les psychiatres savent bien qu’elle est symptôme de folie, donc d’une identité brouillée qui a perdu et renié ses repères... et d’une institution qui désarçonne et divise ses membres et son personnel, comme le montre si bien d’ailleurs le nouveau graphisme. Et quand cela se fait à l’insu de son propre gré (dixit Richard Virenque) ça s’appelle un acte manqué (dixit Sigmund Freud).
Au lieu donc de se perdre dans la logorrhée du logo, les nouveaux responsables du Mudam feraient mieux de déconstruire à la manière de Derrida plutôt que de détruire à la manière de Duras, dont ils devraient relire le beau livre Détruire dit-elle. Le roman décrit un monde où le désir, sur fond de néant, se noie dans le voyeurisme. Tout le contraire, en somme, de la mission d’un musée. Yvan