Chroniques de l’urgence

Mauvais calculs en Baltique

d'Lëtzebuerger Land du 25.09.2020

Pourquoi l’Allemagne et de nombreux acteurs influents de l’Union européenne s’obstinent-ils à vouloir terminer la construction d’un gazoduc traversant la Mer Baltique ? La question a été remise au goût du jour après la tentative d’assassinat de l’opposant russe Alexeï Navalny : comment l’Europe pourrait-elle faire confiance pour son approvisionnement énergétique à un autocrate russe prêt à faire empoisonner ses adversaires politiques ? Pour ceux qui défendent Nord Stream 2, la réponse est toute trouvée : l’alternative au méthane russe serait celui extrait par fracturation hydraulique outre-Atlantique et que l’Amérique de Trump veut nous envoyer par bateau sous forme liquéfiée. Autant privilégier celui gagné par forage conventionnel sur le même continent, c’est moins polluant, font-ils valoir.

Faux débat, évidemment. Le gaz dit « naturel », un combustible fossile au même titre que le pétrole et le charbon, doit rester là où il est, en sous-sol, quel que soit son mode d’extraction. En dépit de tous les efforts du puissant lobby gazier de le présenter comme tel, le méthane n’est en rien un « combustible-passerelle ». Il émet certes moins d’unités de gaz carbonique par unité d’énergie générée que le charbon, mais de là à le parer de vertus écologiques, il y a un pas que seul un défenseur, avoué ou non, du status quo fossile peut envisager de franchir.

Des études récemment publiées sur les fuites de méthane lors de son extraction et de son acheminement signalent l’aggravation considérable de son empreinte. Elles montrent que ces fuites sont bien plus importantes que ne le suggéraient les chiffres avancés par les compagnies gazières. Or, l’effet de serre du méthane est jusqu’à 80 fois plus élevé que celui du gaz carbonique pendant ses vingt premières années de présence dans atmosphère. Dès lors, le prétendu avantage écologique du méthane fond comme banquise en Arctique. Les infrastructures gazières reviennent cher, on y investit sur des décennies. Ceux qui disent vouloir terminer Nord Stream 2 tout en affirmant avoir l’intention de respecter les engagements de l’accord de Paris sont en pleine contradiction, ces deux objectifs s’excluant mutuellement. Le méthane ou le climat, il faut choisir.

La dispute autour de ce gazoduc illustre parfaitement les logiques de centralisation, de dépendance et, en dernier ressort, de guerre inhérentes au modèle des énergies fossiles. Au lieu d’embrasser un avenir renouvelable, les partisans de Nord Stream 2 veulent nous enfermer dans une logique d’affrontement entre blocs, opposant diktat russe et chantage américain. Les choix compatibles avec la décarbonation rapide dont nous avons besoin sont le solaire et l’éolien, que l’on peut déployer de manière décentralisée et indépendamment des oligarques. Il se trouve que ces énergies virtuellement inépuisables représentent aussi nos meilleures options pour préserver la paix, loin des calculs surannés de la realpolitik marinée dans le pétrole et le Novitchok.

Jean Lasar
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