De retour au Luxembourg et sur la scène du TOL avec son T-âtre, Isabelle Bonillo vient de proposer un sympathique spectacle, Enfances de classe, qui s’inscrit dans la lignée des créations très personnelles de cette artiste multifacette en provenance de Lausanne avec son théâtre itinérant. Toujours près de son public, elle a accueilli aux sons de son accordéon et avec un mot pour chacun, les spectateurs dès leur arrivée dans la cour du TOL. Puis elle les a embarqués dans ce spectacle où ils ont été souvent interpellés dans un joyeux esprit de partage (thé à la menthe et verre de vin seront aussi partagés).
Comme l’a rappelé sur scène Isabelle Bonillo en présentant le livre (un pavé de plus de mille pages), le spectacle est basé sur une étude sociologique, Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, ouvrage collectif paru en 2019 (éditions du Seuil) et dirigé par le sociologue Bernard Lahire qui y souligne justement que « les enfants vivent au même moment dans la même société, mais pas dans le même monde ». Cette étude repose sur une large enquête menée auprès de nombreux enfants de différentes classes sociales pour montrer comment les inégalités naissent des écarts sociaux et comment elles influencent le rapport au monde dès le plus jeune âge. Elle prend la forme concrète de témoignages, retient le point de vue de l’enfant et aborde pour chacun les mêmes problématiques essentielles : origines familiales, emploi des parents, logement, santé, alimentation, vie sociale et scolaire, vacances et loisirs, langage et langue, lecture, liens avec l’enseignant(e)… pour pointer du doigt les inégalités de chance.
Conçu et mis en scène par Isabelle Bonillo, joué par elle avec Catia Machado et Nicolas Ruegg (deux comédiens venus de Suisse), Enfances de classe se livre comme un récit à plusieurs voix ponctué de musique. Trois clowns revêtus d’un bleu de travail (avec un cerceau pour les filles) forment un étonnant trio qui jongle habilement avec paroles, mimes et commentaires. À travers l’histoire de trois enfants de trois classes sociales différentes à l’heure de leur entrée à la maternelle, les comédiens racontent la vie et les conditions de vie de ces petits.
Balkis, 4 ans et demi, dort dans la voiture familiale devant l’école, habitacle bondé et invivable. Venue d’Algérie et passée par l’Espagne, la famille a débarqué en France et immigré à Lille où elle vit désormais dans une totale précarité, se retrouvant parfois en hébergement d’urgence mais avec des fuites au plafond ! La petite Balkis « en rejet d’ici » est exposée aux violences et aux discriminations. Thibault, 5 ans et 2 mois, qui a grandi à la ferme, en Auvergne, entretient un rapport difficile à la langue, confronté au patois des grands-parents. Avec sur ses épaules le poids des traditions rurales, il se retrouve sans véritables loisirs et sans camarades, un peu exclu et en marge de l’école. Valentine, 5 ans et 4 mois, « fille de parents qui ne travaillent pas, cadres supérieurs à des postes de direction » a grandi dans les beaux quartiers de Paris (dans un 120 mètres carrés avec bibliothèque dans sa chambre). Avec une éducation traversée de religion catholique mais surtout de repas pris au country club (« pas assez de graisse dans l’assiette », selon la pédiatre), de tennis et natation, elle peut « habiter le monde ».
Sur un plateau avec presque rien, le trio de comédiens incarne les différents personnages qui surgissent des histoires (enfants, parents, frères et sœurs, enseignants…), mime les situations du quotidien ou commente des scènes en s’appuyant sur quelques accessoires simples mais efficaces comme un tableau d’école (pour croquer à la craie les liens de parenté), des cartes géographiques ou encore trois cagettes de bois multifonctionnelles.
Isabelle Bonillo a choisi de traiter ce sujet grave des inégalités sur un ton léger, humoristique et clownesque avec pics d’ironie, gestes caricaturaux et bruitages caractérisés permettant ainsi de grossir la réalité pour mieux montrer les conditions de vie des enfants et dénoncer les travers de la société.