L’argent de poche et sa valeur

The kids are all right

d'Lëtzebuerger Land vom 22.09.2017

Fin de l’alerte : les « jeunes d’aujourd’hui » ne sont pas plus cons que ne le furent leurs aînés. Ils ne passent pas toute leur journée scotchés à leur portable et ne dépensent pas tout leur argent de poche en jeux et applications pour leur ordinateur ou leur smartphone. La Kinder-Medien-Studie que viennent de faire réaliser une série de médias allemands comme le Spiegel et Die Zeit, basée sur des interviews avec un panel représentatif d’enfants et jeunes âgés entre quatre et treize ans en Allemagne, révèle que pour la très grande majorité d’entre eux, jouer avec des amis, être dehors, faire du sport ou ne rien faire, glander, restent leurs activités favorites. Et elle affirme que leur argent de poche, ils l’investissent surtout dans de la nourriture (sucreries, fast-food, chips, glaces…), mais aussi qu’ils adorent lire et achètent des magazines, des bandes-dessinées ou des journaux. Et cet argent est disponible : entre l’argent de poche régulier et les petits dons par-ci, par-là des grands-parents par exemple, les enfants allemands reçoivent entre une vingtaine et une cinquantaine d’euros par mois, selon leur âge. Et, fait marquant : les garçons reçoivent toujours quelques euros de plus que les filles.

On a voulu en savoir davantage sur la situation au Luxembourg : Nos enfants sont-ils de petits Crésus ? De combien d’argent disposent-ils et comment le dépensent-ils ? Est-ce que cet écart entre les sexes existe aussi ici, et est-ce que les différences sociales s’expriment également dans le porte-monnaie, dès le plus jeune âge ? Au pays qui porte le secret bancaire dans son ADN, il n’y a que très peu de données factuelles sur le sujet. Le Liser (Luxembourg institute of socio-economic research) renvoie vers une enquête réalisée en 2014 par la banque ING dans treize pays européens pour savoir combien les enfants reçoivent d’argent de poche, pourquoi et ce qu’ils en font. Si, selon cette enquête, les enfants européens reçoivent en moyenne deux euros par semaine en-dessous de cinq ans, mais atteignent vingt euros par semaine à quinze ans. Les Luxembourgeois, oh surprise, y sont en tête de peloton, avec plus du double, cinquante euros, pour les quinze ans et plus. La majorité des parents affirment donner de l’argent de poche à leurs enfants parce qu’ils en avaient reçu eux-mêmes, pour leur apprendre à gérer un budget, être responsable avec l’argent (54 pour cent) ou en connaître la valeur. Travailler pour recevoir cet argent, ne serait-ce qu’en réalisant de petites tâches à la maison comme tondre la pelouse ou faire la vaisselle – ce concept semble s’être perdu (moins de dix pour cent des enfants et jeunes le font).

Les chercheurs et sociologues disposent en outre d’indicateurs de privation, qu’ils appliquent dans l’analyse des ménages vivant en-dessous du seuil de pauvreté (16,4 pour cent des ménages au Luxembourg en 2014, selon le Statec), une liste qui comporte des facteurs comme : acheter de nouvelles chaussures et des vêtements aux enfants ; manger des fruits et légumes, de la viande ou du poisson tous les jours, leur acheter des livres ou pouvoir inviter leurs amis à la maison. Le fait de pouvoir donner un peu d’argent de poche aux enfants ne fait pas partie de cette liste.

Pourtant, estime l’ULC (Union luxembourgeoise des consommateurs) dans un texte sur le sujet, publié en début d’année sur son site, « posséder ton propre argent est pour toi importantissime ». Et de continuer : « Ce l’est aussi pour tes parents car cela t’apprend à gérer un budget ». Pour l’ULC, l’âge classique auquel les parents commencent à donner de l’argent de poche est de douze ans, celui du passage à l’enseignement secondaire. Le site droitsetdevoirs.lu, co-réalisé par le Centre de médiation et le Service national de la jeunesse, note que, s’il n’y a pas d’obligation légale pour les parents de donner de l’argent de poche à leurs enfants, on pourrait estimer que cela ferait intrinsèquement partie des obligations que leur confère l’article 372 du Code civil, celles « d’entretenir et d’élever » leurs enfants de manière à ce qu’ils soient capables de mener une vie autonome et indépendante à l’âge adulte. Là encore, cet argent de poche n’a pas avant tout une valeur récréative, mais ferait partie d’un apprentissage, plus concrètement celui « de la gestion d’un budget adapté à l’âge et aux besoins de l’enfant ». Douze ans, c’est aussi l’âge à partir duquel les banques commencent à offrir des services spécifiques aux jeunes, avec une première carte de paiement ou encore un accès au webbanking.

Pourtant, on sait (pour avoir entendu des récits de telles expériences maintes fois en privé ou par des travailleurs sociaux), à quel point l’argent et ce qu’il représente comme liberté de consommer, est un moyen de pression entre les enfants : dans la cour de récréation, il y aura toujours un gouffre entre les enfants qui peuvent tout s’acheter – la dernière Barbie ou le dernier accessoire de mode – et ceux qui ne peuvent pas le faire. Et dans les couples, surtout les parents séparés, il y aura toujours des querelles sur combien il faut donner d’argent aux enfants, combien il faut leur acheter, entre la mère monoparentale qui doit retourner deux fois chaque centime d’euro et le père qui veut acheter l’amour de ses enfants en leur donnant les ressources nécessaires pour dévaler le magasin de jeu (ou l’inverse). Mais de cela, aucune étude réalisée pour ou par une banque ne tiendra compte.

josée hansen
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