C’est sous pavillon sud-coréen que l’on célèbre la nouvelle année à la galerie PJ. Fidèle à sa ligne éditoriale de faire connaître et de promouvoir des artistes émergents, issus principalement des continents européen et asiatique, le couple formé par Pierre Funes et Ji Sun s’est fait une place singulière au sein du paysage des galeristes messins. Preuve en est, le duo accueille jusqu’au 18 janvier 2025 une exposition de Dahea Sun, dont l’intitulé, Donglami, peut paraitre bien étrange à qui ne connait rien de la culture coréenne. Nul besoin cependant d’être initié pour en saisir la démarche, ni pour se montrer réceptif à ses œuvres minutieuses et délicates, réalisées le plus souvent au moyen d’étoffes comme le lin, le cachemire ou la soie. Une pratique qui confirme ces dernières années un regain d’intérêt pour l’art du tissage, comme en témoignent la redécouverte des œuvres et des écrits d’Anni Albers ou encore, plus près de nous, l’exposition de Chiharu Shiota qui se tient actuellement au Grand Palais (Paris).
Le terme donglami désigne, en coréen, une forme circulaire, symbole de perfection, d’absolu et d’éternité pour la plasticienne Dahea Sun qui en a fait l’unité fondamentale de son langage artistique. Non figuratives, et majoritairement recouvertes d’une teinte bleue (mais aussi noire, en certain cas), ses œuvres de tissu donnent vie à des compositions géométriques, selon un système modulaire rigoureux appliqué d’œuvre en œuvre, fruit d’une tradition aujourd’hui inscrite au patrimoine culturel de l’humanité de l’Unesco. Son principe repose sur une unité élémentaire, le donglami donc, particule de tissu circulaire qui peut s’associer à d’autres grâce aux quatre fentes et aux trois boutons blancs dont chacune d’elles dispose. Au moyen d’articulations dont chaque exemplaire est virtuellement doté, les combinaisons associatives sont innombrables. Relevant autant de l’artisanat que de la sculpture, la taille des configurations ainsi obtenues, variable, dépend du nombre de donglami nécessaires à leur fabrication. D’où le titre de Soft Extension sous lequel l’artiste a choisi de réunir ces alvéoles de tissu. Ces dernières diffusent une indicible impression de calme, d’apesanteur tranquille, d’harmonie...
Pareilles compositions abstraites se prêtent à de nombreux rapprochements. On peut y voir une métaphore politique de la vie en société, où l’individu doit composer avec ses semblables, et fonder avec eux une structure supérieure (famille, village, ville, nation) afin de pourvoir à ses besoins élémentaires. On pense aussi à des organismes constitués de cellules, de molécules, de différents membres, et plus largement à toute sorte de mise en réseau, de mise en rhizome. La sérialisation de chaque fragment de tissu n’est pas sans rappeler certaines productions de Vera Molnar, l’une des pionnières du computer art et de la création avec intelligence artificielle. Cela, finalement, parce que tout — formes, matériaux, possibilités d’agencements qu’offre le donglami — est bel et bien vivant dans le travail de Dahea Sun et soumis à un principe logique organisateur. Certains matériaux sont par exemple amenés à se déformer sous l’effet de la pesanteur ou de tensions. Ainsi que la jeune femme l’explique dans une vidéo réalisée pour l’exposition : « J’ai souhaité donner une dimension poétique à ces modules textiles géométriques, en exploitant la flexibilité du textile pour générer un flux et un rythme naturels, ces éléments évoluent par leur propre déformation, pouvant être tordus, gonflés ou relâchés. »
Vivante, la production de Dahea Sun l’est aussi en ce qu’elle requiert l’implication du spectateur qui, bien que situé à l’autre extrémité de la relation esthétique, devient à son tour co-créateur. Libre à lui en effet de s’approprier le module pour établir d’autres connexions, ou au contraire de faire respirer le canevas en isolant certaines particules. Se dessine alors une façon singulière de tisser, à deux, une œuvre commune et de s’inscrire dans le paradigme d’un art participatif, en mouvement permanent. Les sculptures de Dahea Sun interagissent donc avec leur environnement immédiat, aussi bien qu’avec celle ou celui qui en deviendra l’heureux propriétaire.
À côté de ces modules de tissus fixés à une fine baguette, la jeune femme confectionne d’élégantes sculptures suspendues, comme SE_SBW2401, qui conjugue au sein d’un grand format (195x100cm) des matériaux aux propriétés contraires, comme le fil d’aluminium, auquel elle donne des formes circulaires, et le fil de cachemire... Soit une singulière façon de souffler le froid (aluminium) et le chaud (cachemire). Des œuvres plus modestes révèlent par ailleurs de véritables trésors de virtuosité, telle cette série de carrés brodés en soie ou ces volumes esquissés en quelques lignes de fil seulement, qui allie minimalisme à des possibilités figuratives que l’on aurait aimé que l’artiste développe davantage. L’exposition offre une occasion rare, en définitive, de rencontrer une pratique de tissage encore méconnue en Occident, dans une approche poétique susceptible de toucher un large public.