Hors du fonds d’un collectionneur, plus de soixante œuvres, de façon inattendue et exaltante

Imi Knoebel total

d'Lëtzebuerger Land du 15.11.2024

kunstraum-am-limes.de

Une raison pour s’arrêter à Hillscheid, tout près de Coblence ? Peut-être ce qui y a été reconstitué du limes, de la zone frontière de l’Empire romain, murs d’un castellum, en plein Westerwald, une tour de grade même. Non, alors que Wikipedia ne le mentionne pas, il y a autre chose à Hillscheid, de très contemporain : le Kunstraum am Limes, justement, initié par un gros collectionneur, Axel Ciesielski, industriel pharmaceutique, mort en 2019. Collection et lieu d’exposition continuent à vivre, la descendance en prend soin, et ce qui a été commencé dans les contacts avec le galeriste Erhard Klein, à Bonn, après à Bad Münstereifel, est aujourd’hui passé dans l’attention de la galerie Christian Lethert, à Cologne.

Les collections privées ont leur part de secret. Gageons quand même que celle-là, du moins sur tels points, peut se targuer d’unicité, carrément. Où trouver ailleurs la totalité des éditions de Sigmar Polke, en remontant du rond-point à l’entrée de Hillscheid, un pavillon en est l’écrin. À votre droite, des espaces de plus grande ampleur, on dirait des hangars, pour des expositions temporaires, jusqu’en mars prochain, celle consacrée à Imi Knoebel qui dépasse tout ce que l’on peut attendre. L’artiste lui-même, avec Carmen, son épouse, en a assuré l’aménagement, il surprend, coup d’œil tout original sur une activité d’une cinquantaine d’années. Pour cela, ils ont pu puiser dans le fonds même de la collection Ciesielski, on peine à s’en rendre compte, plus d’une soixantaine d’œuvres, et tant d’entre elles de considérable format.

Trois salles pour ce qui plus qu’une rétrospective s’avère un déploiement aussi facétieux que lourd de sens. Deux salles pour commencer, plus réduites de dimension, où les œuvres restent plus ou moins dans les habitudes muséales, d’un accrochage côte à côte, bien proportionné, avec tout loisir de s’épanouir. De l’acrylique et des couleurs, on passe au noir et au blanc, plus loin des peintures qui semblent flotter aux murs aux corps, en bois dur et composite, répartis sur des étals, avec comme seul intrus dans l’exposition, par terre, une sculpture d’Ulrich Rückriem, dans un autre matériau, de l’ardoise, pour un même souci de réduction expressive.

Le choc, oui, l’impression d’autant plus forte qu’elle se trouve accentuée par la grandeur de la salle, vient en troisième lieu, une moitié de terrain de football, en longueur comme en largeur, elle vient de l’accrochage. Pas tout à fait saint-pétersbourgeois, mais il arrive aux œuvres quand même de monter très haut, de se superposer, ou alors rompant avec telles qui se posent et s’imposent, il s’en trouve qui emportent le regard dans un fort élan, se fixent à peine, impriment à l’ensemble un rythme inhabituel. Nos yeux sont de la sorte privés de leur mouvement successif, la perception se fait plus animée, vivante.

Des qualités, exactement, qui appartiennent en propre à l’art de Knoebel, toujours dans l’expérimentation, côté formes comme côté surfaces, jusqu’où aller dans l’art abstrait. Telles formes, aux angles droits, font place au baroque, aux courbures, aux entailles, telles pièces solitaires à des blocs, des empilements, des essaims. L’acrylique vient couvrir tantôt du bois, tantôt de l’aluminium, et pour aller dans le sens d’une association des couleurs à des sons, d’une synesthésie, on dira aboutir à une polyphonie, une composition aussi musicale que picturale. Avec au fronton, un peu en son milieu, placé comme pour dominer le tout, malgré sa petitesse relative, 30 x 30 cm, le célèbre Keilrahmen, point d’ancrage des origines, puisqu’il date de 1968.

Et comme Imi Knoebel n’arrête pas de nous déconcerter, pour notre plus grand plaisir, voici que son exposition à la galerie von Bartha, à Bâle, ouverte la semaine passée, nous transporte encore plus haut, plus loin : elle se situe In den Sternen… En l’occurrence, quelque 122 Kindersternen, ces étoiles hexagonales de toutes les couleurs dont une partie de la vente va à l’aide de l’enfance malheureuse, étoiles réparties parmi les peintures, au-dessus d’elles, avec d’autres pièces sur aluminium, appelées Archetypen, inspirées de la statuette en ivoire de la Vénus de Hohle Fels. Pas de limite, là non plus, ni dans le temps, ni dans l’espace, pour l’artiste une entière liberté dans sa création.

Exposition Imi Knoebel, au Kunstraum am Limes, Hillscheid, jusqu’au 19 mars.

Lucien Kayser
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