Herr, Lambert: Signatures

Charcuterie

d'Lëtzebuerger Land vom 18.10.2001

Lorsqu'on ne comprend pas le monde, lorsqu'on se sent submergé, perdu dans sa complexité, on commence un beau fichier, avec des notices descriptives classées alphabétiquement et reprenant toujours les mêmes catégories. Cela permet de dresser de belles statistiques - autant d'exemplaires X réunissant les conditions Y et Z - et, le cas échéant, même de faire des graphiques Excell et donc de se croire moins perdu. 

Ayant décidé de faire un "livre de référence pour les amateurs des beaux-arts" (publicité), tentant d'appréhender le monde de l'art, Lambert Herr a eu exactement ce même réflexe. Sans discernement aucun, sans jugement, ni esthétique ni qualitatif, le graphiste (qui, d'ailleurs, se retrouve comme par hasard lui-même parmi les artistes cités) aligne les biographies d'artistes luxembourgeois des Beckius, Klopp ou Kutter jusqu'à ceux qu'il a rencontrés dans les galeries ou les Salons du CAL ou LAC en 2000. Donc la partie que les catalogues d'exposition s'empressent de cacher dans les dernières pages, des informations rudimentaires sur les artistes, pas toujours très actuelles - notamment sur les artistes contemporains comme Antoine Prum ou Bert Theis, dont Lambert Herr a perdu la trace lorsqu'ils ont arrêté de peindre. 

Ici, ces CV très succincts ne sont pas accompagnés de reproduction d'oeuvres - ce qu'avait encore fait le non moins calamiteux LuxArt - Lexikon Luxemburger Künstler de Maria Burghagen (publié à compte d'auteure en 1999) - mais... des signatures. D'où le titre du livre: Signatures - portraits et auto-portraits - artistes plasticiens au Luxembourg. Plus de mille signatures d'artistes ont ainsi été relevées, un travail de bénédictin, qui a dû commencer à devenir véritablement fastidieux avec les artistes femmes qui se sont mariées et ont adopté le nom de leur mari, puis se sont à nouveau séparées. Patiemment, Lambert Herr a suivi les traces de tous les artistes du dimanche qu'il a ainsi rencontrés dans les salons et les centres culturels locaux.

Mais qu'est-ce qu'on en fait, de ces signatures? Authentifier un tableau qu'on veut acheter? Les marchands et galeristes de ceux des artistes qui atteignent les meilleurs prix sont connus, pas vraiment de danger de ce côté-là, le marché de l'art luxembourgeois est facilement contrôlable, pour autant qu'il existe. D'ailleurs, l'auteur s'est aussi essayé à l'exercice périlleux de relever des soi-disantes "cotes" des artistes, et, mieux encore, "pour les artistes décédés [...] de faire une estimation de leur cote artistique pour l'an 2000" (préface). On approche de la voyance. Alors, peut-être qu'on peut utiliser ce livre pour falsifier des documents, apprendre à signer "Brandy", "Kutter" ou "Lippert"?

En fait, que Lambert Herr, comme autant d'autres historiens locaux, ait envie de faire ce genre d'exercice de compilation est bien sûr son bon droit. Ce qui étonne, c'est l'importance que son éditeur, les Éditions Saint-Paul, accorde à ce listing: "reliure en balacron noir, jacquette en quatre couleurs avec empreinte en or", toutes les pages sont imprimées en couleur pour un petit filet coloré ou un numéro de page, les illustrations étant presque toutes en noir et blanc. 

"Outil nécessaire et oeuvre de bibliophile" s'extasie le Luxemburger Wort (4.10.01). Et on en vient presque à regretter les anthologies de portraits d'artistes de Liliane Thorn-Petit ou d'Elisabeth Vermast dans lesquelles il y avait au moins encore un discours. Mais laissez donc vivre les arbres !

 

Lambert Herr: Signatures - portraits et autoportraits; éditions Saint-Paul ; 2001 ; 412 pages, 2 840 francs / 70,40 euros.

 

 

 

josée hansen
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