Congés annulés

Dans le brouhaha de Bonnevoie

d'Lëtzebuerger Land vom 06.08.2021

Il y a foule sur le parvis des Rotondes, Maximillion, en MC électro-perché, envoie du lourd pour camoufler les marteaux piqueurs des travaux de la gare, tout à côté du site du festival… Esprit berlinois, sourires communicatifs omniprésents, belles gueules, cols blancs en after works, after shaves dans l’air et groupes à la mode, la vie est presque normale aux Rotondes, c’est l’effet CovidCheck. Bas les masques pour les vaccinés et testés à l’entrée, personne pour gâcher ces Congés Annulés.

Car l’été, la formule des Congés Annulés est l’une des plus branchée de la capitale. Et pourtant avec sa musique profonde et répétitive, envoyée pour « triper ou danser », comme il l’écrit, SpudBencer se dit « not hip ». On est pas tout à fait d’accord… La « tente concert », tirée à quatre épingles, engage vraiment à s’y installer, mais on y voit peu de monde s’y poser. Au-dessus de nos têtes un nuage noir tâte le terrain, à côté le chantier gronde toujours jouant le tonnerre, de l’autre côté cette fameuse rue de Bonnevoie, assimilée pour certains à une autoroute… Alors, l’heureux Maximillion, transcendé derrière ses platines, finit son set bien au-delà des 80 db, pour surmonter la pollution sonore, et faire s’imposer ces Congés au cœur de l’agitation du quartier.

SpudBencer prend la suite du bordel, après deux ou trois allers-retours de la régie à la scène. Il lance son EP Minimaal, tout en sobriété, juste après un timide et volatile « Yeah », à son entrée en scène. En même temps le type est chez lui, Fred Baus de son vrai nom, aura passé plusieurs années à gérer la communication des Rotondes… C’est donc en famille qu’il dévoile son nouveau bébé. Doucement, le public s’installe devant SpudBencer, bercé par des mélodies de conte de fée, soutenues par de grosses basses en fond.

En second track, SpudBencer dessine un décor sonore beaucoup plus obscur, voire inquiétant. Les travaux d’à côté n’ont toujours pas cessé, et par-dessus le burinage, Spud envoie les tambours de Mad Max. L’association des deux nous plonge dans le ventre d’une usine démantelée, là où l’écho de la taule qu’on démonte rebondit dans nos oreilles, telle une musique de fin du monde. Quelques kicks plus tard, le tempo prend la foule par la main, et la voilà commencer à piétiner le sol bétonné des Rotondes, comme un symbole. Derrière ses machines, si sa musique stimule des images, SpudBencer est bien sobre, discret comme une souris. Le producteur ne s’ennuie pas avec la mise en scène, pour donner à entendre, plus qu’à voir.

Sans transition, sur sa troisième composition le « minimaliste » change la ritournelle pour des lignes plus synthétiques, comme écrasées par les bpm. Sa craque un peu comme un vieux vinyle qui tourne au ralenti, on a même l’impression d’être devant un feu de camp qui crépite. Et puis, ça tourne dans un virage plus « mouvant », quelques nuques dans le public font du va et vient. Ce n’est pas foncièrement impressionnant mais ça fait visiblement le travail, la « fosse » se réveille, les bras rebondissent, les coudes se plient, les genoux se lèvent, des nombreuses pompes tapotent de plus en plus le goudron froid.

Et ça s’arrête. SpudBencer a effectivement un problème avec ses transitions, son live set mérite mieux. Mais, sans rancune, ça repart. Des sortes de sons de baleine viennent se poser dans nos oreilles, pour finir par se coupler à une divine cantique, toujours sous grosse caisse. Avec une douceur différente, SpudBencer montre là son ancrage dans la minimale, même si parfois sa musique frotte sur une ligne qui bousille les oreilles et fait froncer les sourcilles.

Derrière, sans grande raison, bien que ça nous plaise, le producteur s’adonne à des rythmes tribaux. Le début nous rappelle avec bonheur un bon KOKOKO!, pour se transformer rapidement en du pur SpudBencer : ça fait bouger et le public répond en chœur, certains dansent même pour de vrai, cette minimale, pousse quand même au maximum de l’attention des esprits autant que des corps. Spud a flingué les travaux d’à côté, dégagé « l’autoroute » longeant les Rotondes, avec pour seul arme, sa musique.

Godefroy Gordet
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