Musique live

Jouer sur le fil

d'Lëtzebuerger Land vom 12.03.2021

Un nuage de surréalisme flotte dans le grand auditorium du centre culturel Opderschmelz. En ce samedi 6 mars, la salle dudelangeoise accueille Fumage, un projet luxo-néerlandais initié pour l’occasion. Le public, diversifié et poliment accoudé à des tables installées d’un bout à l’autre la salle, va assister à la première représentation d’un trio des plus sympathiques. Le premier musicien concerné, dont le nom est mis en évidence sur l’affiche de l’événement est Pol Belardi. Figure centrale de la jeune génération jazz autochtone, le multi-instrumentaliste est aux percussions et aux claviers. Le second, Yuri Rhodenborgh, est à la voix et à la guitare électrique. Le troisième, Angelo Boltini, est à la guitare basse et aux machines (comprendre, échantillonneurs et boîtes à rythmes). Ce dernier monte sur scène, casquette vissée sur le crâne. Déjà, les machines fumigènes s’enclenchent, de sorte qu’on a encore du mal à discerner tel ou tel musicien.

Le premier morceau annonce la couleur. Une boîte à rythme, des riffs à la guitare, deux couplets, deux refrains et une explosion musicale où les instruments jouent tantôt à l’unisson, tantôt en désaccord. Un pattern musical classique et qui sera appliqué à toutes les compositions de la formation éphémère. L’audience a affaire à de l’indie rock ou indie eletronic. La brochure de l’événement disait vrai, le trio suit les traces de Dirty Projectors et Grizzly Bear, deux formations originaires de Brooklyn et représentatives du genre.

Quand certains photographes traquent l’heure dorée, cette courte période suivant le lever du soleil ou précédant son coucher, certains musiciens semblent maîtriser ce qu’on appellera l’accord doré. Le guitariste ne se prive pas, en effet, de jouer cet ensemble de notes à la guitare électrique, indescriptible sur papier, mais reconnaissable à sa puissance nostalgique et à sa lumière. En parlant de lumière, l’équipe technique du centre culturel semble particulièrement impliquée, mais indécise, tant les changements de tons, de couleurs et de positionnement des spots, sont fréquents.

Yuri Rhodenborgh prend la parole. Il explique que son dernier gig remonte à loin et remercie donc le public et l’institution. Angelo Boltini, toujours dans l’ombre, fait un bon mot et Pol Belardi reprend le micro, en luxembourgeois. Il revient sur l’intitulé du projet. Le fumage donc, est une technique picturale surréaliste popularisée par Wolfgang Paalen et qui consiste à bâtir une composition sur la base des traces de suie laissées par de la fumée. Le concept est alléchant mais frise l’enfumage car difficilement transcriptible en musique, sauf à appliquer le concept littéralement. De manière générale, les musiciens jouent toujours sur le fil. D’un côté, le caractère ultra récent des compositions fait que les reprises, les refrains et les backs sonnent souvent faux et que le trio a du mal à former un tout. De l’autre, les gimmicks et montées musicales sont efficaces au possible. Les poussées du chanteur sont osées. Il fait parfois un pas de trop mais reste en équilibre constant. On comprend mieux cette agilité lorsque l’on sait que le musicien est adepte du highlining, pendant sportif et extrême du funambulisme.

Yuri Rhodenborgh a par ailleurs consacré un album à cette discipline avec sa formation de jazz Redbourg Group, Bridge the gap. Un projet très recommandable, paru l’an dernier chez ZenneZ Records. Le trio, dans une sorte d’invocation en guise de conclusion, chante à tue-tête « Show us the way / Show us the light ». À la fin de la représentation, le leader de la troupe admet qu’il ne souhaite pas quitter la scène, mais que le trio a épuisé son stock de chansons. La soirée se termine donc sans rappel et sans véritable faux pas.

Kévin Kroczek
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