Il faut croire que le froid convient aux familles. C’est ce que donne à penser un étonnant classement de « villes où il fait bon vivre » publié cette semaine par la société allemande Movinga, qui n’est pas un institut de sondage mais une plateforme consacrée au déménagement en Europe. Encore un, dira-t-on avec raison, car il ne se passe guère de semaine sans voir éclore un nouveau classement. Celui de Movinga tient toutefois son intérêt par son orientation familiale, un argument retenu par les agences de promotion du Luxembourg. Et ce classement des 150 meilleures villes du monde pour les familles (établi sur treize critères) aboutit à un résultat décoiffant !
Un mot sur la méthodologie. Les villes sélectionnées l’ont été « en raison de leur popularité en tant que destinations favorables aux familles, ainsi que pour la disponibilité de sources de données de haute qualité pour chacune d’entre elles ». Deux grandes catégories de critères ont été retenues, ceux relatifs à la qualité de vie et ceux qui concernent la législation sur la famille. Pour évaluer la qualité de la vie, neuf caractéristiques assez classiques ont été étudiées : prix du logement, coût de la vie, taux de chômage, niveau d’éducation, sécurité, transports, qualité de l’air, santé et activités pour les enfants. La législation sur la famille a pris en compte d’une part la durée totale des congés payés que l’on peut obtenir avant et après une naissance et d’autre part la reconnaissance (ou non) du mariage ou de l’adoption par des couples de même sexe.
Pour compléter les chiffres issus de l’observation de ces critères, on a cherché à recueillir l’opinion des familles qui vivent dans ces villes. À cet effet deux sondages ont été réalisés. Le premier demandait aux parents d’indiquer ce qu’ils pensaient de la sécurité de leurs enfants dans leur quartier. 4 620 personnes ayant des enfants âgés de sept à neuf ans ont été invitées à exprimer leur opinion (sur une échelle de un à dix) sur l’énoncé suivant : « Je suis à l’aise à l’idée de laisser mon enfant aller seul au magasin du coin ». Les résultats de l’enquête ont ensuite été convertis en un système de notation, où plus le score est élevé, plus sûre est la ville pour les familles. Dans le second sondage, 6 280 personnes ayant des enfants âgés de moins de 21 ans devaient se prononcer sur le fait de savoir si leur ville « est un bon endroit pour les familles ».
Biais méthodologiques
L’indice final combine les treize facteurs retenus pour déterminer quelles sont les villes qui offrent le meilleur environnement pour vivre en famille. Disons à ce stade que si la méthodologie a l’air solide, certains bémols peuvent y être apportés. Plusieurs des villes sélectionnées ne paraissent pas correspondre au critère de « popularité en tant que destination favorable aux familles » : entre autres exemples Doha, Manama ou Koweit mais aussi Virginia Beach, Colorado Springs ou Jérusalem. Ensuite, les critères de « législation sur la famille » ne sont (en général) pas propres à une ville mais à un pays, par conséquent ils ne peuvent discriminer des villes issues d’un même pays, par exemple les treize villes allemandes ou les dix villes françaises. La même remarque peut être faite pour certains critères de qualité de vie, comme l’éducation et la santé qui ont largement un caractère national, tout comme le coût de la vie (en raison du taux de change). Pour finir, dans les sondages auprès des parents, les réponses peuvent être biaisées par l’autojustification des personnes ayant choisi de vivre dans une ville donnée.
Première remarque sur le classement, les scores sont très proches les uns des autres. 53 villes, soit environ le tiers, obtiennent plus de 80 sur 100 et seulement quinze villes sont en-dessous de 50. Le plus remarquable est que le Top 10 comprend les cinq capitales des pays les plus au nord de l’Europe, en compagnie de trois villes canadiennes ! Seule Munich ne peut être qualifiée de « ville du nord ». Dans le Top 20, on recense sept cités du Canada et de Suède, mais c’est l’Allemagne qui se taille la part du lion avec sept villes (Stuttgart, Hambourg, Hanovre, Francfort, Dresde et Berlin se joignant à Munich). Est-ce lié au fait que Movinga est une société allemande ? Deux villes japonaises sont en bonne position (Tokyo 11e et Osaka 12e). En revanche toutes les « villes du sud » sont en queue de peloton avec notamment les trois grandes villes turques parmi les cinq dernières, accompagnées de Manama et Koweit City.
Luxembourg mal placé
Luxembourg n’apparaît qu’en 64e position juste devant le trio américain Dallas, Washington et Atlanta. C’est toujours mieux que Paris, 79e, loin derrière Lyon, première ville française à la 51e place, et surtout que Bruxelles qui occupe un peu glorieux 119e rang (sur 150). Ces résultats diffèrent radicalement de ceux des études qui sont couramment publiées sur le thème de l’attractivité des villes, notamment celle du cabinet américain Mercer (Quality of Living City Ranking) qui existe depuis plus de vingt ans et fait figure de référence en la matière. Dans sa dernière version de mars 2019 elle a examiné 39 critères aussi variés que la criminalité, la gestion des déchets, l’accessibilité aux transports en commun, l’approvisionnement en électricité, la disponibilité de services de téléphonie ou encore le climat, groupés en dix catégories. 450 villes ont été étudiées, mais seulement 231 ont été classées.
À l’échelle mondiale, Vienne arrive en tête du classement de la qualité de la vie pour la dixième année consécutive, suivie de près par Zürich, tandis qu’Auckland et Munich occupent la troisième place ex-aequo avec Vancouver, ville d’Amérique du nord la mieux classée depuis dix ans. Loin derrière, Singapour (25e), Montevideo (78e) et Port Louis sur l’île Maurice (83e) sont en tête de leurs continents respectifs l’Asie, l’Amérique du sud et l’Afrique. Le palmarès 2019, où huit des dix premières places sont occupées par des villes européennes, dont trois suisses et trois allemandes, n’exclut pas certaines bizarreries : ainsi sur à peine trois villes françaises, un nombre dérisoire, dans le classement total, on trouve logiquement quoique mal loties Paris (39e) et Lyon (40e), mais aussi de façon très surprenante Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe (72e). Luxembourg y occupe une bonne 18e place, entre Melbourne et Ottawa alors que Bruxelles n’est que 28e.
Les seules villes communes aux Top 10 des deux classements sont Munich (quatrième dans les deux cas) et Copenhague (cinquième chez Movinga, huitième chez Mercer). Mais dans le classement américain, Helsinki n’est que 31e, Oslo 25e, Stockholm 23e et Montréal 21e. Pire : trois des villes du Top 10 de Movinga en sont totalement absentes (Québec, Reykjavik et Göteborg).
Comme prévu, ces disparités tiennent surtout à « l’orientation familiale » du sondage Movinga, et notamment au poids donné à la « législation sur la famille », car les scores sur les critères habituels de qualité de vie ne sont pas vraiment discriminants et les réponses des habitants ne font pas non plus la différence. Toutefois la question se pose de savoir si on n’a pas poussé le bouchon un peu loin. Si Helsinki, qui parmi les villes du Top 10 n’est pas la mieux placée sur plusieurs critères (dernière pour le taux de chômage et pour le coût du logement) est finalement première avec le total maximum de 100/100, c’est en réalité parce que la capitale de la Finlande, seule ville représentant ce pays, affiche un nombre spectaculaire de 1 190 jours de congés de naissance possibles, deux fois et demi plus que les villes allemandes ! C’est aussi moitié plus que les villes japonaises, mais ces dernières sont surtout pénalisées par une législation peu favorable aux couples de même sexe. De façon générale presque toutes les villes du sud ont de mauvais scores sur ce dernier critère, pour des raisons sociologiques et religieuses. Ne retenir que deux critères, qui peuvent être discutés, et leur donner autant de poids dans le classement aboutit à un résultat assez peu crédible. Finalement, si l’idée d’inclure dans l’attractivité d’une ville une dimension familiale est excellente, son « opérationnalisation », comme disent les spécialistes, s’avère pour le moins délicate.
Luxembourg, première en sécurité
En 2019, Mercer a publié un classement distinct sur la sécurité personnelle, qui analyse la stabilité interne des villes (niveau de criminalité, effectifs de forces de l’ordre, limitations de la liberté individuelle, relations avec les autres pays et liberté de la presse). Selon le cabinet, il s’agit de « la pierre angulaire de la stabilité dans toute ville, sans laquelle les entreprises et les talents ne peuvent prospérer ». Bonne nouvelle : Luxembourg est la ville la plus sûre au monde, suivie par Helsinki (très moyennement notée sur ce critère par Movinga) et les villes suisses de Bâle, Berne et Zurich, les quatre nommées occupant la deuxième position ex-aequo. Sans surprise, Damas se classait au dernier rang (231e place) et Bangui, en République centrafricaine, avant-dernière. À noter les très mauvaises places de
St Petersbourg (197e) et de Moscou (200e). gc
Les Top 10 des meilleures villes pour les familles selon Movinga
(note sur 100)Göteborg 91,26
Helsinki 100
Québec 99,06
Oslo 98,13
Munich 96,75
Copenhague 96,53
Stockholm 96,15
Reykjavik 94,40
Calgary 93,69
Montréal 92,08