Une étude sur les attentes et les comportements des épargnants

À la recherche de l’investisseur européen

d'Lëtzebuerger Land du 25.10.2019

L’efficacité de la politique monétaire conduite par la Banque centrale européenne suppose que, dans les différents pays de la zone euro, les agents économiques répondent de manière identique à ses stimuli ou au contraire à ses mesures restrictives. Or c’est loin d’être le cas, du moins du côté des ménages, dont les attitudes et les comportements financiers diffèrent toujours beaucoup d’un pays à l’autre. C’est ce que montre l’European Income Investing Study 2018/19 que vient de publier le gérant d’actifs américain Invesco, avec comme sous-titre Uncovering the Income Potential: What Private Investors Really Want. Menée auprès de 5 000 épargnants aisés de huit pays européens elle permet de voir sur 52 pages qu’au-delà de tendances identiques, des disparités considérables persistent.

Selon Invesco, si quasiment tous les investisseurs européens (86 pour cent en moyenne) attachent de l’importance aux revenus tirés de leur épargne, ils sont pour 62 pour cent d’entre eux très mécontents des rendements de leurs placements. Mais si la déception est forte au Royaume-Uni et en Belgique (avec respectivement 70 et 71 pour cent), les investisseurs allemands (55 pour cent) et néerlandais (50 pour cent) se sont apparemment résignés à des retours plus faibles. Globalement ils semblent désormais disposés à prendre plus de risques pour en obtenir. Quatre investisseurs sur dix déclarent y être davantage prêts qu’il y a quelques années, alors que seulement un sur sept se montrerait plus prudent. En majorité les investisseurs définissent le risque comme « la perte potentielle d’une partie du capital investi ». Curieusement c’est surtout en Espagne, très touchée par la crise économique et financière, que l’appétit des investisseurs pour le risque est le plus élevé (58 pour cent) alors que dans deux pays réputés « économiquement forts », l’Allemagne et la Suisse, 28 pour cent à peine des épargnants se disent plus ouverts au risque et vingt pour cent y sont devenus plus opposés.

Croissance contre sécurité Autre chiffre révélateur : parmi les sondés ils sont 54 pour cent à préférer aujourd’hui des stratégies de croissance du capital alors que seulement 28 pour cent continuent de privilégier la protection de leurs avoirs. L’étude pointe ici un décalage entre les intentions et la réalité. Malgré une plus grande acceptation du risque, seuls 17 pour cent des sondés détiennent actuellement des income products, c’est-à-dire des produits d’épargne investie générant un revenu, comme des obligations ou des actions soumises à dividendes.

D’autre part, à peine treize pour cent des investisseurs européens se disent ouverts à de nouvelles options d’investissement. Les Britanniques sont les plus portés sur l’innovation (24 pour cent), tandis que les répondants belges (huit pour cent), suisses (cinq pour cent) et néerlandais (trois pour cent) sont les plus réticents. Assez peu de sondés (35 pour cent) ont établi des plans financiers clairement définis pour tous leurs objectifs d’investissement. Mais au Royaume-Uni la proportion atteint 53 pour cent, devançant de loin celle observée en Allemagne et en Italie (38 pour cent). À l’opposé se trouve la Suisse, où moins d’un quart des sondés projettent de manière globale (23 pour cent).

Face aux fluctuations des marchés, les Européens adoptent une approche plutôt attentiste en général. Ils ne sont que douze pour cent à revendre rapidement un produit qui ne génère pas assez de rendement. Les Britanniques sont 23 pour cent à le faire mais, dans le même temps, ils sont 38 pour cent à déclarer « adopter une perspective à long terme », alors que la moyenne européenne est de 25 pour cent. De fait, l’horizon d’investissement moyen diffère de manière assez significative d’un pays à l’autre. Pour une moyenne de 6,9 ans, il va de 4,9 ans en Italie à 10,2 aux Pays-Bas, la Belgique et la Suisse affichant aussi des horizons nettement supérieurs à la moyenne (8,3 ans dans les deux cas). Autre point intéressant : 23 pour cent des investisseurs déclarent avoir un horizon de placement inférieur à trois ans en Europe. Mais cette proportion grimpe à 33 pour cent au Royaume-Uni et à 35 pour cent en Italie.

Méconnaissance partagée Si les investisseurs européens planifient peu, hésitent à prendre des risques et ne sont guère ouverts aux nouvelles idées de placements, c’est en grande partie à cause de leur méconnaissance des mécanismes et des produits financiers. Ainsi une minorité (vingt pour cent) déclarent bien comprendre les rendements actuels de leurs investissements. À nouveau les Britanniques sont mieux placés avec un pourcentage de 31 pour cent, alors que les Néerlandais et les Suisses sont les plus « ignorants » (douze pour cent).

Les investisseurs craignent de manquer de connaissances et de compétences adéquates. C’est sans doute pourquoi 70 pour cent se disent prêts à recevoir des conseils de professionnels (28 pour cent en profitent déjà). Dans ce domaine existent de gros écarts géographiques. Ainsi les Italiens sont 82 pour cent à souhaiter en bénéficier contre seulement 59 pour cent des Néerlandais, qui ont la réputation d’être économes. Les Français, les Allemands et les Suisses (respectivement 67, 66 et 62 pour cent) sont eux aussi en dessous de la moyenne européenne de 70 pour cent.

Typologie des investisseurs En croisant les différents paramètres étudiés (aversion au risque, horizon de placement, recours au conseil, intérêt porté aux questions financières etc..) Invesco établit une typologie des épargnants européens. Le premier groupe est celui des « investisseurs non engagés » (unengaged investors) : ce sont les plus nombreux avec 34 pour cent du total, mais pas les plus aisés avec une moyenne de 95 000 euros de revenu par ménage et par an. Surtout préoccupés par la sécurité de leurs placements, ils cherchent à constituer une réserve d’épargne pour faire face à des imprévus et financer des projets personnels et familiaux comme des voyages. Leur horizon est le plus long des quatre groupes avec 8,1 ans. Peu intéressés par la finance qu’ils trouvent complexe et peu attrayante, ils demandent conseil à leurs parents et amis. Si on leur proposait un produit financier facile à comprendre et au rendement intéressant, ils seraient prêts à investir davantage sur ce type de support.

Les « investisseurs avertis » (savvy investors, 26 pour cent) sont très portés sur les produits financiers, qu’ils connaissent bien. Leur revenu moyen est de 125 000 euros. Pour beaucoup la finance est un véritable passe-temps. Ils ont des projets et objectifs précis, dont ils discutent avec leurs conseillers avant de prendre une décision. Ils investissent à moyen et long terme (horizon moyen de 7,2 ans), avec des attentes élevées en termes de rendements, tout en cherchant une diversification de leurs placements pour réduire les risques. Les « investisseurs délégateurs » (delegating investors, 23 pour cent) ne sont pas des experts en placements et n’ont guère de temps à y consacrer. Leur objectif global est de garantir la sécurité financière de leur avenir, notamment en vue de la retraite, tout en consacrant de l’argent à d’autres projets. Ils se décrivent comme investisseurs prudents et comptent sur leurs conseillers pour faire fructifier au mieux leur épargne. À noter qu’il s’agit à la fois du groupe le plus riche (135 000 euros en moyenne) et celui dont l’horizon est le plus court : 5,5 ans.

Le groupe le moins important, composé néanmoins de 17 pour cent des sondés, est celui des « investisseurs amateurs » (amateur investors) : intéressés par les placements, ils recherchent activement les meilleures opportunités même s’ils reconnaissent ne pas toujours bien comprendre les informations financières qui leurs sont fournies. Ils n’investissent jamais dans des produits qu’ils ne connaissent pas, mais adoptent des stratégies simples et claires. Leur priorité absolue est la sécurité pour l’avenir, pour avoir un certain niveau de vie à la retraite et aider leurs enfants. Mais ils souhaitent aussi profiter de la vie dès à présent (voyages, travaux dans leur logement) et au final sont prêts à accepter une certaine dose de risque pour dégager de meilleurs rendements. Leur revenu moyen est de 107 000 euros et leur horizon moyen est de 6,4 ans.

La répartition des individus identifiés dans la typologie est très différente selon les pays. Aux Pays-Bas par exemple, plus de la moitié des investisseurs (56 pour cent) sont des « non engagés » et 26 pour cent font partie des « délégateurs ». Un profil que l’on retrouve, mais de façon moins marquée, en Belgique (respectivement 42 et 24 pour cent). Les Espagnols se retrouvent surtout parmi les « avertis » (32 pour cent) et les « amateurs » (26 pour cent). Dans cette dernière catégorie les Britanniques sont bien représentés (23 pour cent y figurent) mais outre-manche, les plus nombreux sont les « délégateurs » (29 pour cent). Les Italiens ont un profil voisin avec 27 pour cent de « délégateurs » et 22 pour cent d’« amateurs ».

Taux de détention

Invesco a étudié la détention de cinq « income products », supports d’investissement générant des revenus : actions et obligations locales, actions européennes, immobilier et produits multi-actifs. En Europe les taux de détention vont de 39 à 45 pour cent, le maximum étant atteint pour les actions domestiques. Les taux les plus élevés, tous supports confondus, sont enregistrés au Royaume-Uni (taux allant de 48 à 56 pour cent) et les plus faibles en Belgique (de 26 à 41 pour cent).

Entre les Britanniques et les Belges il existe un écart de vingt pour cent dans la détention d’actions locales (56 contre 36) et même de 33 dans celle d’obligations locales (59 pour cent contre 26). Le pourcentage d’investisseurs en immobilier, qui culmine à 54 pour cent outre-Manche, atteint aussi un haut niveau en France (48 pour cent), seul pays avec la Belgique où cette classe d’actifs arrive en tête. La possession des produits financiers est majoritairement indirecte, car les instruments de placement les plus populaires en Europe sont l’assurance vie (51 pour cent de détenteurs) et les fonds (46 pour cent). Mais leur utilisation varie fortement : l’assurance-vie joue un grand rôle en France, pays où les fonds de pension sont embryonnaires, alors qu’elle est insignifiante au Royaume-Uni, où la détention directe d’actions est également plus répandue qu’ailleurs.

Un échantillon large et aisé

Le nombre total de répondants s’élève à 4 970 unités. Ils sont répartis comme suit : Allemagne 706, Belgique 350, Espagne 707, France 710, Italie 720, Pays-Bas 354, Royaume-Uni 723, Suisse 700. Les réponses aux questionnaires ont été complétées par les données tirées de six focus groups à Milan, Francfort et Londres, qui ont réuni 36 participants au total. Tous les répondants justifiaient d’un revenu annuel minimum de 50 000 euros ou équivalent. La moyenne est de 114 000 euros. Ils avaient la responsabilité (individuelle ou conjointe) des décisions financières du ménage, et détenaient au moins un produit d’épargne investie (risk-based investment product) ou avaient l’intention d’en souscrire dans les douze mois.

Georges Canto
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