Cette fois, les nuages s’amoncellent vraiment sur une économie mondiale de plus en plus fragile, selon l’OCDE qui a publié le 19 septembre ses « Perspectives économiques intermédiaires ». L’évolution reste incertaine, mais les facteurs de ralentissement l’emportent, tant pour les économies avancées qu’émergentes, de sorte que le PIB mondial ne connaîtra qu’une hausse de 2,9 pour cent cette année et de 3 pour cent en 2020, contre 3,6 pour cent en 2018.
Ce sont les taux de croissance les plus bas enregistrés depuis la crise financière. Par rapport aux précédentes prévisions parues en mai, le recul est de 0,3 point pour 2019 et de 0,4 point pour 2020 et concerne la quasi-totalité des pays, mais il touche surtout les plus exposés au recul des échanges qui s’est amorcé en 2019 au niveau planétaire.
En effet, pour l’OCDE ce sont les conflits commerciaux qui pèsent le plus sur la confiance, la croissance et la création d’emplois. « L’incertitude résultant des tensions commerciales persistantes dure depuis longtemps, réduisant l’activité à l’échelle mondiale » peut-on lire dans le rapport. Les restrictions affectant les échanges de biens contribuent à une atonie persistante du secteur manufacturier, déjà affecté par un fléchissement de la demande de biens de consommation durable tandis que les services semblent pour l’instant échapper au mouvement.
Paradoxe : les deux principaux protagonistes de la « guerre commerciale », à savoir les États-Unis et la Chine pourraient mieux tirer leur épingle du jeu, malgré le recul à prévoir. Les États-Unis devraient ralentir à 2,4 pour cent cette année (-0,4 point par rapport à la prévision de mai) et à 2 pour cent en 2020 (-0,3 point), des taux de croissance qui restent enviables parmi les pays développés. Quant à la Chine, attendue par l’OCDE à 6,1 pour cent cette année (-0,1 point), elle devrait encore connaître une progression de 5,7 pour cent en 2020.
Les pays émergents seront plus fortement touchés. Sur les neuf pays émergents membres du G20, hors Chine, un seul a vu ses prévisions rehaussées : il s’agit de la Turquie qui, il faut le dire, avait fortement décliné en 2018 et début 2019. Mais six autres connaissent une révision à la baisse supérieure à 0,6 point pour l’année en cours. Toutefois il n’y a rien de comparable entre la situation de l’Inde, où la réduction prévue est nette (-1,3 point cette année et -1,1 point en 2020) mais avec des taux de croissance qui resteront élevés, respectivement 5,9 pour cent et 6,3 pour cent, et celle de l’Argentine, où l’on prévoit cette année une récession de 2,7 pour cent, puis un nouveau recul de 1,8 pour cent en 2020, malgré le prêt du FMI de 57 milliards de dollars approuvé en juin 2018.
L’investissement subit la même décélération que le commerce. Dans les économies du G20, le rythme de croissance annuel des investissements est passé de cinq pour cent au début de 2018 à 1 pour cent seulement au premier semestre de 2019. Cela a suffi à faire diminuer la production de biens d’équipement au cours du premier semestre de 2019, car il faut d’abord écouler les stocks.
À la morosité économique s’ajoutent les incertitudes politiques. Le calendrier et les modalités du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne font toujours débat mais l’éventualité d’un Brexit sans accord pourrait faire basculer l’économie britannique dans la récession en 2020 et entraîner des perturbations sur plusieurs secteurs en Europe (automobile notamment). Encore le rapport n’avait-il pas pu intégrer l’instabilité politique qui affecte certains pays comme l’Espagne et l’Italie ni les conséquences de la récente attaque contre des installations pétrolières saoudiennes.
La dégradation des perspectives économiques fait courir des risques de crédit supplémentaires à un secteur financier déjà plombé par l’évolution technologique et par la dégradation de sa rentabilité pour cause de faibles taux. En Europe, au moins dix banques comme Société générale, Commerzbank, HBSC, Barclays, BNP Paribas ou Deutsche Bank ont annoncé depuis le début de l’année la suppression de plus de 44 000 postes ! Sur les marchés des capitaux, le ralentissement de la croissance inquiète à cause du niveau élevé d’endettement des agents économiques. L’institution craint surtout une dégradation de la qualité de la dette privée, « ce qui pourrait amplifier les effets de chocs éventuels ».
Pour sortir de l’ornière, l’OCDE appelle les banques centrales des économies avancées à maintenir l’orientation accommodante de leur action, ce qui vient d’être fait avec la baisse récente des taux directeurs de la Fed et de la BCE, mais reste sans illusions sur l’efficacité d’une « politique monétaire sollicitée à l’excès ».
En effet, dans la zone euro et au Japon, la marge de manœuvre est réduite car les taux sont déjà négatifs. Aux États-Unis, elle est plus grande mais l’assouplissement monétaire y est moins nécessaire qu’ailleurs car la croissance américaine restera convenable avec un taux de chômage historiquement bas. Une nouvelle baisse ne s’y justifierait « qu’à titre d’assurance, en prévention d’un risque élevé de voir la croissance à un niveau sensiblement inférieur aux prévisions ».
La politique monétaire devrait être étayée par des mesures budgétaires et structurelles. Pour Laurence Boone, cheffe économiste de l’organisation, « les pouvoirs publics doivent saisir l’occasion que leur offre la faiblesse actuelle des taux d’intérêt pour relancer l’investissement dans les infrastructures et promouvoir l’économie du futur », ce qui soutiendrait la demande à court terme et créerait des conditions favorables au développement à moyen terme. Mais là aussi certains pays n’ont presque pas de marge de manœuvre en matière budgétaire.
Les propos de Mme Boone sonnent surtout comme un énième appel du pied aux « pays excédentaires » comme l’Allemagne. Restée jusqu’ici sourde aux prières de ses partenaires, elle pourrait changer d’avis car, en lien direct avec la contraction du commerce mondial, ses perspectives économiques sont parmi celles qui ont fait l’objet de la plus sévère correction à la baisse de la part de l’OCDE par rapport à mai 2019. On n’y attend plus qu’une croissance de 0,5 pour cent cette année (-0,2 point) et à peine mieux l’an prochain : 0,6 pour cent, soit moitié moins que prévu il y a encore quatre mois ! En raison du poids de la production de biens d’équipement et du secteur automobile dans son économie, l’Allemagne souffre beaucoup de la conjoncture actuelle.
Les dépenses publiques prônées par l’OCDE devraient porter sur les routes (où le besoin mondial d’investissement est supérieur à 2 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030), sur l’approvisionnement en énergie et en eau, et sur les télécommunications.
Par ailleurs, des réformes structurelles ambitieuses sont nécessaires dans toutes les économies pour compenser l’impact négatif des restrictions aux échanges et aux investissements, d’autant plus que ces dernières années la croissance du niveau de vie a été, partout dans le monde, bien inférieure aux normes d’avant la crise, et que le rythme des réformes s’est lui-même ralenti. Qu’il s’agisse des économies ou émergentes, les priorités concernent l’éducation et les compétences d’une part, et la réglementation des marchés de produits d’autre part. Selon l’OCDE, il importe également de lancer « des trains de réformes visant à soutenir la demande à court terme », notamment en agissant sur les inégalités sociales et de revenus.
Vulnérabilités financières
L’escalade dans les conflits commerciaux et la montée des risques géopolitiques ont accru la volatilité des marchés financiers et déclenché une fuite des investisseurs vers les placements sûrs comme les obligations d’État. La hausse de la demande de ces titres a provoqué une chute de leurs rendements, devenus de plus en plus souvent négatifs. La valeur globale des obligations d’État et d’entreprises négociées à des taux négatifs a atteint 12 000 milliards de dollars à la mi-septembre soit 24 pour cent du stock obligataire mondial, le double d’il y a un an. De plus la « courbe des rendements » est devenue atypique : l’écart entre les taux à court terme et à long terme est devenu très faible voire négatif, une évolution particulièrement marquée aux États-Unis.
La dette privée, surtout celle des entreprises non financières, suscite des inquiétudes : elle est très élevée (deux tiers de la dette totale soit environ 150 pour cent du PIB mondial) et si les sociétés connaissent une réduction de leur demande, elles pourraient avoir du mal à rembourser. Les investisseurs s’en détourneraient et procéderaient à des ventes massives de titres. Un risque d’autant plus aigu que, d’ores et déjà, une forte proportion de cette dette est notée juste au-dessus de la catégorie spéculative. gc