Chronique de l’urgence

Cruauté arctique

d'Lëtzebuerger Land du 28.08.2020

À un rythme échevelé, depuis que Donald Trump est président, l’Agence de protection environnementale (EPA) supprime les restrictions, dédaigneusement qualifiées de « red tape », avec lesquelles les administrations précédentes tentaient depuis l’époque de Nixon de limiter les atteintes des activités industrielles à la santé et à la biodiversité. Plafonds d’émission pour le mercure, prescriptions d’efficience énergétique pour les centrales thermiques, limites aux forages dans les réserves naturelles, notamment dans l’Océan arctique, obligations relatives aux émissions des véhicules, tout y passe.

Il y a juste un petit problème : bien qu’elle ait pu à l’occasion faire les affaires de certains donateurs du camp républicain, cette fureur dérégulatrice irrite désormais au moins une partie de ceux qu’elle est supposée favoriser. Cela vaut notamment pour les constructeurs automobiles, qui craignent qu’un relâchement des normes sur les gaz d’échappement leur fasse perdre un temps précieux par rapport à leurs concurrents étrangers.

Nouveau coup de poignard contre le climat et la biodiversité, l’administration Trump vient d’autoriser les forages et la construction d’oléoducs et d’aéroports dans le Refuge faunique national arctique (ANWR), dans le nord-est de l’Alaska, sur deux zones totalisant 3 200 kilomètres carrés. Mais lorsque ceux que cette mesure devrait réjouir s’en inquiètent, il y a lieu de se demander dans quel univers étrange évoluent Trump et son équipe.

Car, quoiqu’on en dise, le vent est en train de tourner pour ceux dont le métier consiste à extraire et à commercialiser des produits fossiles. Le temps pour eux n’est plus aux investissements lourds et à long terme, mais plutôt à l’exploitation hic et nunc des gisements aux coûts de revient les plus bas, histoire d’entretenir auprès de leurs actionnaires l’illusion d’une poursuite des rentes historiques dont ils ont profité ces dernières décennies. Tout le contraire des gisements de l’ANWR qui nécessitent des milliards en développement d’infrastructures et ne fourniront leurs premières gouttes de brut que d’ici huit ans au plus tôt. Les majors et les grandes banques ont de toute façon commencé à se détourner de l’exploration pétrolière en Arctique, tant en raison des risques élevés de pollution dans ces écrins de nature sauvage que des incertitudes liées à la crise climatique.

Voir l’administration Trump s’arc-bouter ainsi simultanément contre la volonté de sa clientèle de pétroliers et le sens de l’histoire a quelque chose de glaçant. Lorsque des décisions qui engagent la survie de l’espèce humaine, la préservation de sanctuaires irremplaçables de vie sauvage et les conditions de subsistance de populations indigènes – les Gwich’in chassent les caribous qui traversent l’ANWR – sont motivées par une idéologie surannée, un Kulturkampf aux effluves de pétrole, au point qu’elles déplaisent même à leurs bénéficiaires théoriques, on est véritablement en présence de cruauté pure.

Jean Lasar
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