Catherine Lorent et Ugo Li. Deux univers colorés, puissants. L’épique et le goûteux à la galerie Reuter Bausch

Rock and food fantasy

d'Lëtzebuerger Land vom 16.06.2023

Ugo Li (né à Paris en 1987), sert le couvert dans la première salle de la galerie Reuter Bausch, planquée derrière les terrasses des restos qui ont envahi le bord de la rue Notre-Dame. Clin d’œil ou ironie, la galerie occupe un ancien café dont elle a gardé l’enseigne. Comme il se doit pour une galerie d’art contemporain, la typo grise de son logo est chic et peu visible, ce qui la désert dans un environnement d’échoppes bariolées. L’exposition actuelle annonce pourtant Feast, la fête et le festin.

On passe à table avec Ugo Li, peintre franco-chinois. Il aime la convivialité et la cuisine. Un moment passé ensemble autour d’une table, inspiré par sa double culture, reste important pour lui. Il le peint, même si on est à l’heure du manger vite (fast-food). Voici donc des tables dressées, avec des plats opulents ou les reliefs d’un repas si apprécié que des colombes roses les survolent et que des chaussures (aussi représentées), sont restées là, abandonnées au bord.

L’animal fétiche d’Ugo Li est le homard, une chair tendre sous carapace dure. La transition est toute trouvée pour décrire ce qu’il aime peindre en second : des vases. En voici un traditionnel d’Asie, bleu et blanc et son opulent bouquet de fleurs posé sur un guéridon. Les carrelages du mur sont peints avec minutie, La nappe à carreaux rouges et blancs est vue à la verticale par un raccourci de perspective. Julie Reuter choisit souvent des artistes qui savent travailler les couleurs (rose, blanc et bleu ciel de Triple Bird, ocre et boisé sur fond bleu lapis-lazuli pour Bird of Paradise) et abordent les intérieurs dans la tradition d’un Matisse ou d’un Bonnard.

La prochaine étape pour Ugo Li, qui travaille en technique mixte et huile sur toile, devrait être de s’essayer pour de vrai à la céramique. On attend avec curiosité la transposition de ce que l’on peut appeler son alphabet : vases et fleurs, pigeons et chandelier, assiette de pêches tendues pour le partage dans Everything is Weird au visiteur, peint à coups de traits larges rapides, d’aplats lisses. Des mots sont aussi écrits sur fond jaune.

Les couleurs sont vives comme la couleur rouge du homard sur fond violet ou présenté sur un lit d’algues au fond d’un plat blanc et une nappe à carreaux bleus et rouges. Les assiettes chinoises, la forme des vases, la finesse des pétales de fleurs sont travaillés avec soin et Ugo Li le surligne en nommant ce qu’il peint dans ses festins « The Plant Fugue, FLWRS, roses, nature mort+ ». Un peu, excusez du peu, à la manière de Basquiat.

Catherine Lorent (1977), présente un ensemble foisonnant et un nombre de pièces impressionnant pour Feast, qui chez elle, est la fête. La guitare électrique dont elle joue est dans l’exposition, les festivals de heavy metal en pleine nature. Elle expose même ici la reprise de Evil Landscape II, réexécutée cette année, qui avait brûlé dans une exposition précédente…

Cette série exécutée en technique mixte sur toile représente son univers gothique et barbare (honneur aux Vikings, navigateurs comme elle, que l’on voit, depuis le dessus en train de lire Kafka à la proue d’un voilier, Leinenlos). Le cadre ou plutôt le médaillon de ces scènes à la fois triviales et nobles, serait la palette de la peintre ou… l’empreinte d’un fessier ? Catherine Lorent, l’irrévérencieuse, peint les restes triviaux de la fête. Mais voici une nature morte symbolique du couple amoureux, Blue Hour Inflation, avec la pomme et le serpent, le repas en bord de falaise est magnifiquement peint en volutes et encadré de colonnes antiques tracées à l’encre de Chine sépia.

Autre passion connue de Catherine Lorent, l’héraldique que l’on retrouve ici dans une série de gouaches et aquarelles sur papier. C’est encore le monde de la chevalerie, des buveurs dans des cornes d’animaux que représente celle qui semble rejeter l’Europe (European Parade). Si tentation nationaliste il y a, elle a les traits altiers de la Grande-Duchesse Charlotte (ce que ne dira jamais Catherine Lorent), côtoyée par Médée, épouse de Jason qui s’empara de la Toison d’or et selon la mythologie grecque, après sa mort, fut admise aux Champs Elysées…

Le talent de peintre et de dessinatrice de Catherine Lorent est réel, au service d’un univers sauvage et savant. Ainsi de cette ode (encre, aquarelle et gouache sur papier) aux quatre vertus cardinales : Tempereance(fire), Courage(air), Justice(Terra), Prudence(Aqua). La sagesse est d’aborder son travail de cette façon-là.

Feast, Catherine Lorent & Ugo Li, est à voir jusqu’au 24 juin à la Galerie Reuter Bausch, 14 rue Notre-Dame à Luxembourg

Marianne Brausch
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