« Ma femme trouve que t’es un type chouette »

d'Lëtzebuerger Land vom 17.10.2025

A paru cette semaine (aux éditions Flammarion) Vigie du monde, ouvrage autobiographique de Jens Stoltenterg sur ses dix années (2014 et 2024) à la tête de l’Otan, une décennie durant laquelle l’Histoire s’est dramatiquement réveillée. Le livre est narré à renforts de détails et de dialogues que Stoltenberg et son équipe ont pris soin de relever au fil de l’eau. En prologue, l’ancien Premier ministre (travailliste) de la Norvège revient sur un dîner organisé en 2013 en présence de plusieurs chefs d’États. Barack Obama s’y était indigné du dépassement d’une ligne route fixée par les nations du globe, après que le président syrien, Bachar al-Assad, a eu recours à l’arme chimique contre sa population. « Si nous restions sans rien faire, le monde enverrait un signal à tous les dictateurs : enfreindre les traités internationaux n’entraîne aucune conséquence », avait ainsi prédit Obama (Les États-Unis n’interviendront finalement pas en Syrie.) Le président américain, puis Angela Merkel ont soutenu la nomination de Stoltenberg à la tête de l’organisation du traité de l’Atlantique Nord. Mais la chancelière allemande l’a prévenu après coup : « Les Américains sont puissants, mais j’espère que vous ne ferez pas tout ce qu’ils demandent. (…) Il est important que les États-Unis n’obtiennent pas toujours ce qu’ils veulent. »

Durant son mandat, Stoltenberg s’est retrouvé au cœur des tensions entre l’Oncle Sam et ses junior partners de l’Otan au sujet du financement de l’effort militaire. Dès le sommet de septembre 2014 durant lequel Jens Stoltenberg était encore simple invité. Barack Obama avait qualifié de « free riders » les pays dépensant peu dans leur défense et comptant sur l’allié américain en cas de crise. Obama avait alors insisté pour que chaque pays membre s’engage fermement à dépenser deux pour cent de son PIB en matière militaire. Stoltenberg met en perspective cette sempiternelle demande. En 1963 déjà, JFK confiait a son Conseil national de sécurité : « Les pays membres de l’Otan ne paient pas une juste contribution ».

L’exigence revient plus tard dans l’ouvrage avec l’ébouriffant récit d’un dîner de sommet à Bruxelles, en 2018, un moment « au bord de la rupture » pour l’Otan. Donald Trump y débarque, raconte sa dernière visite en Corée du nord avec force anecdotes puis recense dans un listing eurovisionnesque les dépenses des États membres en matière militaire. Jens Stoltenberg cite ainsi le président américain : « Croatie : Oh je suis tellement déçu, 1,26 pour cent. Vous devez vous sentir minables, a-t-il dit en cherchant des yeux le représentant concerné. Estonie, deux pour cent. Merci ! France : 1,79 pour cent. Pas mal, Emmanuel. Pas mal, pour toi. Tu n’es pas président depuis assez longtemps, ça va sûrement dégringoler. Allemagne : 1,2 pour cent. Allez, Angela ! Enfin ! Puis, en s’adressant à Xavier Bettel, alors Premier ministre : Luxembourg, toi qui es si sympathique, où en es-tu ? 0,46 pour cent. Je ne te parle plus. Mais ce n’est pas grave. Ma femme trouve que t’es un type chouette ». Le sommet s’achèvera de manière passable en flagornant le Donald Trump (comme le successeur de Stoltenberg, Mark Rutte, le fera en 2025 pour le passage de l’effort militaire à cinq pour cent du PIB).

Deux autres Luxembourgeois apparaissent dans le récit : Jean-Claude Juncker débarquant pour un déjeuner à la résidence du secrétaire général de l’Otan à Bruxelles, sur la très chic avenue Louise, une bâtisse de mille mètres carrés. « Quand je vois cette maison, je sais que j’ai commis une grande erreur dans ma vie. C’est d’être devenu président l’UE au lieu de secrétaire général de l’Otan. » L’ancien président de la commission taquine encore Stoltenberg : « Vous les radicaux, vous aviez des idées bien étranges quand vous étiez jeunes, mais vous avez fini par devenir raisonnables ». Puis le Norvégien raconte un sommet à Londres durant lequel les représentants de l’Otan étaient passés par le palais de Buckingham, y rencontrant la reine Élisabeth II. Le secrétaire général de l’Otan lui a présenté Jean Asselborn, doyen des ministres présents avec quinze années au compteur. « Cela est certes très bien, mais vous êtes loin de la longévité de mon règne », lui a rétorqué la monarque. Des anecdotes amusantes au service d’un récit haletant et un fond historique notamment marqué par l’agression russe de l’Ukraine et le basculement stratégique de l’Otan vers la zone indo-pacifique.

Pierre Sorlut
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