« Il est des moments dans l’Histoire où la cause de la paix exige du courage politique et une clarté morale. » À New York dans l’enceinte des Nations unies lundi, le Premier ministre, Luc Frieden (CSV), a ainsi introduit son discours de reconnaissance de la Palestine. Le chef du gouvernement a associé cette semaine le Luxembourg à un mouvement collectif mené par la France d’Emmanuel Macron. Cette reconnaissance, par 150 pays maintenant, intervient 78 ans après la résolution 181 prévoyant la création de deux États sur le territoire de la Palestine (rejetée alors par les Palestiniens et les pays arabes voisins). Mais il intervient surtout après presque deux ans de campagne d’anéantissement de Gaza menée par le gouvernement de Benyamin Netanyahu en représailles des massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023. Plus de 60 000 personnes ont été tuées, dont un tiers d’enfants… une estimation basse du décompte macabre qui ignore surtout la souffrance indicible de ces deux millions de Palestiniens emprisonnés dans l’enclave. Et, parallèlement, le gouvernement israélien accélère la colonisation de la Cisjordanie.
« Nous vivons un moment historique. (…) La reconnaissance de l’État de Palestine est le début d’un processus. (…) La solution à deux États est une idée fragile, mais encore possible. » Tel a été, en somme, le propos du Premier ministre luxembourgeois lors de cette session des Nations unies. Au micro de RTL après son discours, Luc Frieden a parlé de « décision difficile à prendre pour le Luxembourg (…), une décision qui ne va pas contre les Israéliens, ni contre les Juifs, au contraire ». Des propos qui ont incité Martine Kleinberg, fondatrice de Jewish Call for Peace, à signaler au ministère d’État cette « erreur autant conceptuelle que juridique » que de « confondre une nationalité et une confession ». Il s’agirait d’une « confusion lourde de conséquence (…) et qui serait aujourd'hui la principale source de l'antisémitisme en Europe et au Luxembourg ». Ce nouvel élan de reconnaissance des pays occidentaux a été enveloppé de propos, plus ou moins adroits, répondant à ceux qui assurent que le moment n’est pas opportun. « Cette reconnaissance (...) est une défaite pour le Hamas comme pour tous ceux qui attisent la haine antisémite, nourrissent des obsessions antisionistes et veulent la destruction de l’État d’Israël », a plaidé le président français.
Mais ni le Hamas ni Benyamin Netanyahu ne veulent entendre parler de solution à deux États. Avant de décoller pour New York où il devait parler devant l’Assemblée générale des Nations unies ce jeudi, le Premier ministre israélien, poursuivi par le Tribunal pénal international pour crime contre l’humanité, a répété : « Il n’y aura pas d’État palestinien. » Benyamin Netanyahu devait rencontrer le président américain dans la foulée. « Le seul qu’il écoute », a regretté Xavier Bettel (DP) lors d’une conférence de presse téléphonique mardi. « La paix repose entre les mains de Donald Trump », a poursuivi le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois. Trump a rencontré les chefs d’États arabes mardi. Rien n’a filtré depuis sur le contenu de la réunion. Les discussions avec Netanyahu doivent être décisives. Mardi, lors de son allocution de 57 minutes (contre quinze autorisées), le président américain n’a que brièvement évoqué Gaza et a essentiellement demandé le retour de tous les otages israéliens. Ce que Netanyahu ne demande même plus prioritairement, au grand dam des familles.
La reconnaissance ne va pas sauver un enfant à Gaza. Au contraire. Tsahal y a intensifié son attaque depuis l’annonce, en juillet, de la reconnaissance collective de la Palestine. « De Fridden ass net muer do », a concédé Luc Frieden à la presse mardi. « On verra ce qu’il se passe dans les prochains mois », a-t-il complété. Interrogés sur d’éventuelles sanctions, les deux représentants du gouvernement à New York jouent la montre. Le Luxembourg ne dispose pas du cadre légal pour prononcer des mesures restrictives contre des personnes de manière autonome. Une analyse serait rendue avant la fin de l’année. D’autres représentants politiques européens mâchent moins leurs mots. À la tribune, le Premier ministre irlandais, Micheál Martin, a évoqué « un génocide qui se déroule sous nos yeux ». Le gouvernement espagnol multiplie les actions pour faire pression sur le gouvernement israélien : embargo sur les contrats d’armement, fermeture des ports aux livraisons d’armes et même demande de boycott des compétitions internationales. La Commission européenne attend, elle, la réponse des États-membres sur les sanctions commerciales. D’aucuns espèrent le moment sud-africain pour Israël, ce moment où la mise au ban internationale contraint à cesser ce qui fait l’objet des reproches.
Ce point de bascule est-il proche ? Interviendra-t-il jamais ? Au Grand-Duché, les voix se préoccupant du dévoiement de la guerre contre le Hamas se font de plus en plus nombreuses. Ce jeudi, l’ex-Pirate Ben Polidori, désormais LSAP, interroge le gouvernement sur son positionnement quant à une éventuelle interdiction d’Israël à l’Eurovision. ONG et syndicats battent, eux, le rappel en vue d’une grande manifestation pour la paix à Gaza dimanche. Amnesty, Médecins sans frontières, Handicap international et une trentaine d’autres associations convergent dans la Luxembourg Coalition for Palestine (LetzactforPalestine.lu). Est visée la participation d’au-moins 2 000 personnes à cette manifestation sous la couleur rouge : « Red card for genocide ». Parmi les soutiens figure l’Union des syndicats, avec l’OGBL donc, mais aussi le LCGB, moins prompt à manifester pour les causes internationales. La communication syndicale est plus consensuelle… et ne parle pas de génocide : « L’Union des syndicats OGBL–LCGB réaffirme que la paix au Proche-Orient ne pourra être construite que sur la base du droit international, de la reconnaissance mutuelle et d’une véritable solution politique. »
Le LSAP, déi Greng, déi Lénk et le KPL s’allient aussi et appellent leurs membres à participer à la marche. Les leaders de ces partis marcheront également. Interrogés mardi par le Land sur leur éventuelle participation dimanche, Xavier Bettel (DP) a prétexté qu’il sera « dans l’avion », Luc Frieden (CSV) n’a pas répondu. Le nombre de ministres et de députés de la majorité présents (le cas échéant) en dira long sur la transversalité (ou non) de l’engagement pour la paix à Gaza.
Dans Haaretz ce jeudi, l’éditorialiste Gideon Levy parle du jour où « le monde a rempli son obligation minimale en reconnaissant un État qui risque de ne jamais voir le jour » : « On the day France's president celebrated a diplomatic victory, Palestinian statehood seemed more distant than ever. At no point in time has the dream of a state seemed more disconnected from the reality on the ground. The president of the state that nearly the entire world now "recognizes" will attend the General Assembly via a video link, while the ICC's No. 1 most-wanted will address the hall from the dais. »