C’est désormais la plus longue grève en France depuis mai 68. Débuté le 5 décembre, le mouvement social en cours a d’abord égalé en durée, à Noël, les « grandes grèves » de 1995 contre le plan Juppé sur la Sécurité sociale et les retraites. Puis en ce début d’année 2020, il vient de dépasser la longue grève des cheminots de l’hiver 1986-87.
L’exécutif a pourtant tout tenté. L’appel à une trêve de Noël, sans succès : des « grèveillons » de soutien ont au contraire fleuri. Le discrédit en présentant le mouvement comme « d’extrême gauche », alors qu’au bout d’un mois il reste toujours soutenu par plus de soixante pour cent des Français. Et la tentative de pourrissement, bien que le gouvernement s’en défende, en ne proposant aucune négociation entre le 19 décembre et le 7 janvier… Rien n’y a fait : les grévistes des trains et des métros, rejoints par de nombreux enseignants et d’autres professions, veulent toujours le retrait de la réforme des retraites. Tandis que dans les défilés qui ont continué pendant Noël s’entendaient fréquemment des « Macron démission ».
Et le soutien des Français n’est pas que symbolique : non seulement le pouvoir a échoué à gagner la « bataille de l’opinion », mais des dizaines de « caisses de grève » aussi ont fleuri, pour permettre à des conducteurs ou des agents de maintenance qui ne vont pratiquement rien toucher fin janvier de tenir le coup. La plus grosse, gérée par le syndicat Infocom-CGT, a dépassé le million d’euros vers Noël et s’achemine vers deux millions.
Sans faire d’annonce nouvelle, en se contentant d’affirmer que la réforme serait « menée à son terme » et en vantant contre toute logique son « équité », Emmanuel Macron a lui aussi échoué, lors des traditionnels vœux présidentiels du Nouvel An, à désamorcer la colère des opposants. Bien au contraire. L’accusant d’être « déconnecté du réel », le leader de la CGT Philippe Martinez a appelé à étendre la grève « partout où c’est possible », et deux journées nationales de manifestations étaient prévues les jeudi 9 et samedi 11 janvier, au moment où les huit raffineries du pays devaient être stoppées pendant 96 heures. En parlant de l’actuel président, l’écrivain de gauche Pierre Lemaître, lauréat du prix Goncourt 2013 pour son magnifique roman Au revoir là-haut , s’est interrogé : « Est-ce que Marine Le Pen aurait fait pire ? »
Mais en ce début d’année, c’est aussi la droite classique, à laquelle le macronisme veut tailler des croupières, qui monte au créneau. Le chef de file des Républicains (LR), Christian Jacob, a ainsi appelé à retirer une réforme qui n’a « ni queue ni tête » puisque « chaque jour qui passe, l’exécutif recule ». Il faut dire que le caractère prétendument « universel » de la réforme est plus qu’écorné : pour éviter que les luttes convergent avec les cheminots, le pouvoir a en effet multiplié les dérogations, tant et si bien que devraient garder leur régime particulier les policiers, les douaniers, les surveillants de prison, les pompiers, les contrôleurs aériens, les militaires, les marins pêcheurs, les chauffeurs routiers, ou encore les pilotes d’avions, les hôtesses et les stewarts…
Le pire n’est cependant pas là, plutôt dans les risques graves que la réforme ferait peser sur l’équilibre financier du système de retraites par répartition. La quasi-disparition des cotisations pour les très hauts salaires (plus de 120 000 euros bruts par an) générerait en effet en quinze ans des pertes de dizaines de milliards d’euros dont personne n’est capable de dire comment elles seraient épongées1. Ancienne conseillère sociale du président Chirac et ex-secrétaire générale adjointe de l’Elysée, Marie-Claire Carrère-Gée (LR) ne mâche pas ses mots : « Faire sortir les cadres supérieurs de la sécurité sociale ; autant tuer la sécurité sociale ». Un projet qui placerait aussi ces cadres dans une situation de devoir recourir à l’épargne-retraite privée, ce qui ouvrirait grandes les portes de la France aux fonds d’investissement comme l’Américain BlackRock, et ce n’est pas le grade d’officier de la Légion d’honneur accordé le 1er janvier au président de BlackRock France, Jean-François Cirelli, qui a levé cette suspicion légitime. De quoi amener le leader du syndicat réformiste CFDT, Laurent Berger, à réclamer une grande « conférence de financement des retraites ». Porte de sortie vers un éventuel compromis ? Reste à savoir si le retrait du projet actuel en est un préalable. Ou pas.