Élisabeth Hack est née dans une famille de onze enfants à Echternach en 1860. Son père était potier. À plusieurs reprises, elle prendra contact avec les bourgmestres successifs de Luxembourg et exprimera le souhait de léguer « trente œuvres d’art français » à la collection municipale. Celle-ci acceptera en 1922, un an après le décès de son employeur Henry Harvard. Élise Hack vécut le restant de sa vie à Paris où elle mourut à 73 ans en 1933.
Cent ans après la mort de Henry Harvard (1838-1921), on peut voir cette donation (seize peintures, neuf aquarelles, quatre dessins, treize gravures et quatre sculptures en terre cuite – trois ont disparu) exposée à la Villa Vauban, complétée d’œuvres de la collection Havard issues d’autres collections et du Musée de Mâcon son principal bénéficiaire, dont Marine à Berck de Jean Laronze (1852-1937), restaurée pour l’occasion. La Villa Vauban a fait deux acquisitions. Une sculpture, retrouvé par ses conservateurs, Agar et Ismaël de François Sicard et l’aquarelle, Nature morte – Asperges. On y voit le même pot de cuivre que dans l’huile sur bois Nature morte aux œufs et aux oignons, qui fait partie d’une série de représentations d’ustensiles et d’éloges culinaires français de Denis Pierre Bergeret (1843-1910), spécialisé dans ce genre prisé des grands hôtels et des grands restaurants.
Pour Élise. La collection Hack et l’art à Paris à la Belle Époque le titre de l’accrochage est attrayant mais trompeur. « Pour Élise », certes… Élisabeth arrive à vingt ans à Paris et trouve, grâce à une agence de placement, un emploi d’aide ménagère chez le couple Henry Havard et son épouse. Celle-ci meurt prématurément en 1865. Sur son lit de mort, Henry promet de ne pas se remarier et respectera son vœu. Mais Élise Hack va être sa légataire universelle et ils sont enterrés ensemble au cimetière de Vincennes.
On peut évidemment fantasmer sur la relation de ce couple, qui avait tout de même 45 ans de différence. La seule chose certaine, c’est que la jeune femme fut partie prenante dans la vie de son employeur. En attestent les dédicaces des artistes sur les œuvres qu’ils lui offrent. Havard conseillera même le gouvernement luxembourgeois en 1895 pour l’érection d’un monument national et sera élevé au grade de commandeur de l’Ordre d’Orange-Nassau en 1909. Par l’intermédiaire d’Élise ? Qui aurait été une conseillère de l’ombre ? Rien ne le confirme.
La deuxième partie du titre de l’exposition L’art à Paris à la Belle Époque est trompeur, car le public ne verra ni pièces Art Nouveau ni Art Déco. Le domaine de prédilection de Havard était certes les arts décoratifs, plus précisément les arts décoratifs néerlandais des XVIe et XVIIe siècles et il publia une somme sur les arts décoratifs et des styles des XIIe au XIXe siècle français. On aurait d’ailleurs tendance à dire arts populaires : Havard écrivit un ouvrage sur L’art dans la maison, grammaire de l’ameublement comme en témoignent plusieurs vues du peintre marseillais Jean-Baptiste Olive (1836-1936) dans l’exposition : Havard s’intéressait aux arts décoratifs dans ce que les paysages, les objets et les aménagements régionaux étaient représentatifs des « pays ».
Il ne faut donc pas juger les amis artistes d’Élise Hack et de Henry Havard comme « des petits maîtres ». Derrière ce qu’ils représentent, il y a l’histoire de la guerre franco-prussienne de 1870, où la France perdit l’Alsace et la Lorraine, l’unité nationale, la laïcité et l’égalité des classes. Cet éclairage politique aurait permis de voir autrement la donation d’Élise Hack. Car les amis artistes d’Élise Hack et de Henry Havard ne sont d’aucune « école », mais d’une pensée partagée : l’identité entre le « peuple », la « nation » et l’« art ». Jean Geoffroy (1853-1924), illustrait des livres des frères Hetzel, qui étaient les éditeurs de Henry Havard. Il est l’auteur « d’imageries scolaires » à destination des enfants dans un but pédagogique quand Havard fera un rapport sur ce thème au ministre de l’instruction publique et des beaux-arts en 1885 (il fut inspecteur des Beaux-Arts de 1887 à 1917). Si Henry Havard était l’écrivain de la concordance entre le peuple, la nation et l’art, ses amis artistes en étaient les illustrateurs.
Le peuple, ce sont les ouvriers représentés dans trois grands tableaux de Georges Hippolyte Dilly (1876-1942), qui menaient des vies misérables dans les filatures du nord de la France, c’est le marchand de jouets et le dératiseur ambulants par Léopold Flameng (1831-1922). De Félix Bracquemond (1833-1914), on verra deux magnifiques gravures de dames prenant le thé sous des ombrelles sur La terrasse de la Villa Brancas (1866, eau-forte rehaussée au burin) et L’éclipse, regardée par les femmes du sixième étage, celui des petites bonnes, de 1869, un an avant 1870. Il est le plus connu et le plus stylistiquement situable des amis artistes de Harvard dans l’histoire de l’art : Bracquemond initia Manet, Degas et Pissaro au japonisme et il figure avec Baudelaire, Manet, Whisthler dans l’Hommage à Delacroix (1864) qu’Henri Fantin-Latour voulait un « manifeste » des personnalités artistiques de l’époque.
L’énigme des genres picturaux de la donation Hack, réside dans les origines de Henry Havard, né en 1838 à Charolles, et dans son engagement politique. Son père était un notable du Charolais impliqué dans la vie politique et très attaché à l’histoire locale, ce qui influencera l’état d’esprit et la vie de son fils. Henry, déjà républicain sous le Second Empire, commanda la Garde nationale sous la Commune. Il participa donc activement au soulèvement des parisiens, ouvriers et artisans. Mais la Garde nationale désarmée par Adolphe Thiers, le ministre de Napoléon III - l’Empereur des Français - et les Communards décimés, Havard dut partir s’exiler aux Pays-Bas. C’est là qu’il rédigea son travail d’analyse systématique des arts décoratifs néerlandais. Il revint amnistié à Paris en 1879.
Mais l’Alsace et la Lorraine étaient perdues. On verra dans l’exposition le portrait d’une femme en costume traditionnel, une eau-forte réalisée par Flameng en 1871 et des portraits de dames en civil mais aux couleurs locales, le rouge et le noir, par le peintre alsacien Marie Augustin Zwiller (1850-1939). C’est sans doute ainsi qu’il faut voir l’exposition et le legs d’Élise Hack : le paysage du Charolais Dans la Plaine, (huile sur toile, 1891), son troupeau de brebis et leur bergère, la Pêcheuse de crevettes d’une marine normande (de Jean Laronze) sont des représentions du peuple et de paysages régionaux qui plaident en faveur de l’unité des « pays » de la Nation France. C’est ce qu’expriment, par leur talent esthétique, les amis artistes d’Henry Havard. Et rappelons qu’Élise Hack était fille de potier, issue de la classe populaire.