Le nom du plus discret des musées de Luxembourg, c’est la Villa Vauban, villa bourgeoise construite en 1873 sur la ligne ouest des fortifications démantelées et qui fête cette année le dixième anniversaire de son extension (par les architectes Diane Heirend et Philippe Paul Schmit). Le tram, qui pourtant passe devant son merveilleux jardin, dessiné au 19e siècle par Edouard André, ne s’y arrête pas. Les visiteurs devront donc, encore et toujours trouver leur chemin pour avoir une bonne raison de se rendre à la Villa Vauban.
Or, y aller ces dernières années, c’était voir d’excellentes expositions temporaires comme, en remontant le temps et nos souvenirs, cette monographique récente du sculpteur Charles Kohl, ces autoportraits exceptionnels de la photographe Elina Brotherus pour l’EMoP 2019, la puissance de la peintre Paula Modersohn-Becker en vingt-quatre paysages, portraits et natures mortes en 2018, l’univers fantastique de Jérôme Bosch en 2017, repris comme thème de gravures. On aura aussi pu voir des tableaux des collections Dutreux, Lippmann et Pescatore, mélangés à des œuvres du 20e et 21e siècle sur les thèmes animalier, paysager ou l’art de vivre, puisqu’une des missions de la Villa Vauban, est « d’enrichir la collection (…) ; soutenir les artistes vivant au Luxembourg par des acquisitions (…) d’art contemporain. »
Avec Une promenade à travers l’art, Peintures et sculptures européennes des 17e-19e siècle, la Villa Vauban revient à ses fondamentaux : en montrant, après restauration et dans un nouvel accrochage, les quelque cent tableaux et quatorze sculptures de ses trois premiers donateurs, Eugénie Dutreux-Pescatore (1810-1902), Jean-Pierre Pescatore (1793-1855) et Leo Lippmann (1808-1883), ainsi que des œuvres acquises depuis par le musée et autres donations.
On peut regretter qu’aucune note biographique, ni lien avec l’histoire du Grand-Duché n’éclaire ces trois figures clés de la bourgeoisie naissante du jeune État. Mais, comme le dit le titre de l’exposition, le nouvel accrochage est Une promenade à travers l’art, sans distinctions. Elle est le reflet d’un panorama de sujets de collections au 19e siècle, sinon du goût plus personnel de Leo Lippmann. Nous voici donc pour commencer au « Siècle d’or » de la peinture hollandaise et flamande des Sept-Provinces Unies au 17e siècle. Sans contrainte religieuse catholique, les bourgeois peuvent se faire portraiturer, on célèbre les tavernes, les mœurs quelque peu grivois de la campagne, les troupeaux, l’idyllique vie de famille (déjà) de la bourgeoisie montante et on découvre d’étonnantes vues forestières jusque là cantonnées à l’arrière plan.
Un des joyaux de la Villa Vauban, une petite huile sur toile de forme ronde de Jan Breughel le Jeune, Paysage avec Moulin et charrette, est là, mis en exergue. David Teniers le Jeune lui, n’est pas le moindre des talentueux peintres de scènes d’intérieur et de tavernes, le Portrait d’un Garçon en costume du dieu Mars de Pieter Nason comme L’Enfant au Tambour de Ferdinand Bol, témoignent du goût sûr dans ses acquisitions de Leo Lippmann, un Bétail et moutons avec bergère d’Adriaen van de Velde récemment acquis par le musée aurait (c’est encore à vérifier), son pendant au Statens Museum de Copenhague.
L’Italie rêvée des peintres du 19e siècle, dont le Canal Grande du Canaletto (collection Jean-Pierre Pescatore), ne nous convainc toujours pas, sinon que notre vision a changé par rapport à ces porteuses d’eau, (Jeunes Napolitaines de Guillaume Bodinier, Deux femmes au bords d’un puits, de Charles Landelle) et le Portrait d’une jeune Romaine (peintre inconnu), une acquisition récente : pose et costumes nous paraissent proches des premières photographies…
Suit la salle des petits formats, justement intitulée Du grand art en petit format. On voudrait tous (ou presque) les emporter : Atabalpia, roi du Pérou et Cyrus, roi de Perse (peintre inconnu, coll. Eugénie Dutreux-Pescatore), le Portrait de Philippe III d’Espagne, par Frans Pourbus le Jeune, (17e siècle, acquis par le musée en 1999), le Portrait de femme au voile blanc (coll. Leo Lippmann) d’un peintre inconnu du 18e siècle. Leo Lippmann décidément avait du flair : en rupture, avec L’art français autour du 1850 – entre tradition et modernité, voici un Corot (Paysage, effet du soir) et un Courbet (Marine – Deux voiliers). Jean-Pierre Pescatore, amateur de chevaux, au point de posséder un haras, fit sculpter l’effigie de ses pur-sang Félix et Rainbow (par Christophe Fratin) aussi.
Jean-Pierre Pescatore, qui possédait aussi le Jeune turc caressant son cheval d’Eugène Delacroix, est assis, décoré de la Légion d’Honneur dans la salle suivante. Le voilà entouré de ses acquisitions d’Une collection royale, car ce sont les tableaux qu’il acquit à la vente aux enchères de Guillaume II, roi des Pays-Bas et grand-duc du Luxembourg. La fête des Rois de Jan Steen, cette merveilleuse scène d’intérieur de genre est accrochée parmi un éventail de paysages, natures mortes, marines, à la « saint-peterbourgeoise ». Un bourgeois n’hésitait pas à superposer en hauteur, des grands formats, comme Catherine de Russie…
Comme elle avait commencé avec l’Age d’Or, l’exposition se termine par des marines des Pays-Bas Si proche(s) de la mer… Des navires chavirent dans une mer démontée, la pêche est paisible en bords de côtes. Puis, on passe à une autre peinture, ou plutôt, à une autre époque : La Seine à Neuilly de Jean-Antoine Gudin (coll. Jean-Pierre Pescatore), présente à l’arrière plan des cheminées de l’industrie naissante. Dans le tableau de Leo Lippmann qui clôt le parcours de l’exposition Le peintre en bord de mer (Charles Bouchez), l’artiste œuvre sur le motif, en plein air. Il a désormais de la peinture en tubes à sa disposition. Nous sommes au milieu du 19e siècle. L’ère moderne a commencé.