Le titre ci-dessus est emprunté en partie au livre qui naguère rendait compte d’un colloque sur André Pieyre de Mandiargues, suggérant que le visiteur entrera dans l’exposition du Centre Pompidou-Metz avec une même passion. Pourquoi Mandiargues ? Dans la suite de Breton mettant Arcimboldo parmi les précurseurs du surréalisme, d’un art magique, il a été un des tout premiers à se faire le héraut inspiré du peintre maniériste, dans son Arcimboldo le Merveilleux, livre paru en 1977, suivi l’année après, de façon plus érudite d’Arcimboldo ou rhétoriqueur et magicien, de Roland Barthes. En 1987, l’exposition monographique consacrée à l’artiste du seizième siècle par Pontus Hulten et Yasha David, au Palazzo Grassi, à Venise, allait clore une décennie de découverte et de consécration ; la voie en avait été ouverte dès 1936, à New York, par Alfred Barr.
Mandiargues et Barthes, d’excellents guides, qui représentent deux faces bien diverses, voire opposées de la modernité, surréalisme d’un côté, structuralisme de l’autre. Ils valent aussi pour la visite de l’exposition de Metz : Face à Arcimboldo, quand il s’agit de passer en revue les quelque 250 œuvres, d’une large centaine d’artistes. D’autant plus que sur l’essentiel ils se rejoignent, semble-t-il. Là où Barthes, au sujet d’Arcimboldo, mais on peut élargir, parle d’un procès de sens, « tout signifie et cependant tout est surprenant », Mandiargues évoque des dimensions multiples, au-delà de la planéité des tableaux : la distance à laquelle il faut s’écarter, et elle vaut aussi bien dans le temps de l’observateur que dans l’espace « où la transformation aura lieu sous son regard ». Ajouterai-je une cinquième dimension, l’émerveillement, ou plus simplement la surprise, le choc émotionnel, quel qu’il soit.
La grande nef du Centre Pompidou, la voilà déjà qui surprend, pour cette première exposition de la directrice Chiara Parisi, avec Anne Horvath. On entre comme sur une piazza où s’étale, faite d’acier et de verre, ornée de fruits et de légumes, parsemée de néons, où se dresse avec son cône, l’installation de Mario Merz, reprise du Palazzo de Venise. Autour, l’espace se divise en une dizaine d’allées, disposition astucieuse pour l’intimité qu’elle crée, les ouvertures qu’elle permet, scénographie de Berger&Berger, invitant à la déambulation, un peu en plaisantant on dirait un lasagne horizontal avec ses murs en béton cellulaire.
Et tout au long, toujours, à notre regard de se régler, tel un objectif photographique. De suite, de se porter de près sur des images rapportées de Pompéi en juxtaposition avec des masques de James Ensor, alors qu’au loin, une tête composée d’Arcimboldo rivalise (ou dialogue) avec une tête de pape de Francis Bacon. À chacun de faire ses propres découvertes, ses rapprochements, parmi ceux offerts par les commissaires de l’exposition, de s’attarder, se laisser aller à l’enchantement, se plonger dans l’analyse. N’oublions pas que le mot de mirabilia renvoyait d’abord au voyage, il met à contribution ici, provoque, active, sens et esprit.
Des haltes, vous ne cesserez d’en faire, personne ne vous en imposera. Quelques-unes des miennes, juste pour donner envie dans ce qui plus on avance plus s’apparente aux cabinets de curiosités, les Wunderkammern des Habsbourg dont Rodolphe II, pour saluer par exemple l’artiste pragois Jan Svankmajer dont on donnera le 7 juillet sur le parvis le long métrage Alice aux Pays des Merveilles. Je m’arrêterai, plus que devant les autres portraits composés, devant le Bibliothécaire, venu d’un château suédois, comme annonciateur du cubisme ; et pour rester au seizième siècle, venue d’un autre château, de Blois, l’étrange Fille singe, poilue, de Lavinia Fontana, qu’on aime à désigner comme première peintresse professionnelle.
Avant d’entrer dans la grande nef, le visiteur aura parcouru le hall, le forum du musée, et sa pléthore d’animaux par terre, suspendus également au-dessus de nos têtes qui se reflètent dans des miroirs, Annette Messager effaçant de la sorte les frontières qui séparent. Singuliers messages encore que le Devenir de la liberté, de la Tchèque Toyen, silhouette faite de gousses de pois, qu’on imagine se mettre à tourner à la manière des derviches, ou pour retourner dans le règne animal, l’Ecureuil, de Meret Oppenheim. Ils se font face, les imposants et pourtant légers Hills and Clouds, de Lynda Benglis, de 2014, et l’Apennin, de Giambologna, minuscule en comparaison, qui date de 1580.
Pour la boucle, finir en compagnie de Barthes et Mandiargues, à un dernier arrêt, devant la Poupée, de Hans Bellmer, cette femme désarticulée, dont l’artiste lui-même compare le corps à une phrase, « pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables ». Sa compagne Unica Zürn faisait de même justement du côté du langage. Et pour Arcimboldo, Barthes constatait que « ces têtes composées sont des têtes qui se décomposent ».