Le dernier trimestre avant les vacances estivales est la saison des Portes ouvertes. Rien de plus normal pour des élèves qui ont passé les deux dernières années dans des classes où il était interdit de fermer une fenêtre, même par temps de neige. 2022 marque le retour de ce rite très luxembourgeois de passage vers l’adolescence. Pour occuper vos samedis matins et vos soirées dans des endroits improbables, où des efforts démesurés seront mis en œuvre pour vous séduire, oubliez l’auto-festival et la tournée des concessionnaires à la recherche d’une voiture qui ne sera peut-être livrée qu’après votre mort. Les établissements d’enseignement secondaire ne connaissent pas la crise. Chaque lycée classique, général ou préparatoire du pays déroule en ce moment le tapis rouge pour convaincre enfants et parents d’inscrire son nom dans le formulaire à remplir début juillet.
Les parents sont donc à nouveau invités à participer à la première confrontation de leurs enfants avec l’univers de béton, de linoléum, de verre et de métal qui les accompagnera, à partir de septembre, tout au long de leurs études et de leur vie professionnelle. Venez admirer les installations sportives dans les vestiaires desquelles vous serez confrontés aux premières scènes de harcèlement physique ou moral contre les plus faibles du groupe – dont on espère que vous ne ferez pas partie. Émerveillez-vous devant les laboratoires scientifiques ou les installations high-tech, que les professeurs présentent aux groupes de visiteurs, venus les admirer comme des touristes la chapelle Sixtine. Certains sortent même leur smartphone pour prendre des photos. Vous allez découvrir combien d’heures de latin par semaine il est charitablement possible d’infliger à un être humain. Vous allez partager l’enthousiasme de jeunes gens qui rivalisent d’activités incroyables : radio amateur, spéléologie, construction de robots capables d’aller sur la lune, spectacle de danse avec effets pyrotechniques… Les clubs auxquels vos enfants n’auront pas le temps de participer sont presque aussi tentants que les menus qu’ils ne mangeront pas car ils arriveront toujours trop tard à la cantine et qu’il ne restera que le menu végane avec des déclinaisons de tofu sous toutes ses formes.
À l’âge où les promesses de bonheur sont encore un peu floues, et où les trajectoires pour y mener se perdent dans la confusion, la fiche à remplir sonne comme une tentative de prendre en main son destin. Combien de fois a-t-on l’occasion de donner un coup de rame pour changer le cours tempétueux des événements qui emportent notre vie vers des rivages imprévus, tel un torrent sur lequel la navigation relève de la chance autant que du talent ou du travail ?
D’après le dernier rapport du GIEC, investir dans des études de plus de trois ans serait hautement spéculatif. Sur une planète Terre devenue aussi accueillante que la Vallée de la Mort au mois de juillet, l’utilité d’un quelconque diplôme deviendra aussi incertaine qu’un placement à cinq ans sur le bitcoin. Pourtant c’est le moment de montrer à vos enfants que vous vous intéressez à eux, et à leur avenir, en vous perdant dans d’interminables couloirs et en écoutant de tout aussi interminables présentations des différents projets pédagogiques. C’est un grand moment pour tout parent qui se plaît à espérer être d’une quelconque utilité pour ses adolescents, jouer un certain rôle de modèle, de prescripteur, et pas seulement de personnel de maison, alors que force est de constater que, depuis leur apprentissage du vélo sans roulettes stabilisatrices, ils auraient très bien pu nous remplacer par des tutos YouTube et des livraisons Wedely.
Alors que nos voisins français ont résolu le problème en retardant autant que possible l’orientation, confiée à un algorithme obscur dénommé « ParcourSup » qui attend les 18 ans de l’enfant pour décider à sa place s’il étudiera la médecine à Toulouse ou l’architecture à Lille ; au Luxembourg l’orientation s’effectue très tôt dans le parcours scolaire, à un âge où, si l’on a compris qu’on ne serait sans doute pas astronaute, footballeur professionnel ou princesse, il n’est pas encore interdit d’entretenir quelques rêves. Ici, c’est à force de tests psychologiques, d’épreuves communes et de relations personnelles que se joue l’admission dans un endroit plutôt qu’un autre. Mais, une fois choisi le lycée, il faut encore se décider entre classe sportive, classe musique, classe iPad… La lutte des classes ne fait que commencer.