Câbles au fond des mers

Talon d’Achille sous-marin ?

d'Lëtzebuerger Land vom 05.04.2013

Les câbles installés au fond des mers du globe constituent-ils le talon d’Achille du Net ? La question se pose avec une certaine acuité depuis que les forces armées égyptiennes ont annoncé la semaine dernière avoir arrêté trois plongeurs alors qu’ils tentaient de couper un câble Internet sous-marin au large d’Alexandrie, parlant d’une « opération criminelle ». Des dommages causés par un navire à un câble auraient en réalité, selon des opérateurs de télécommunications locaux, été à l’origine du ralentissement significatif du trafic sur Internet dans la région pendant une semaine. Difficile de s’y retrouver, mais les regards des internautes se tournent avec anxiété vers ces faisceaux de câbles qui véhiculent des quantités astronomiques de données au fond des océans.

Les trois plongeurs arrêtés à bord d’un canot de pêche rapide par la marine égyptienne ont juré avoir coupé le câble par erreur et ne pas avoir voulu l’endommager. L’installation appartient à Telecom Egypt, le principal opérateur du pays. Certains ont avancé que ces plongeurs devaient penser pouvoir récupérer du cuivre en quantités importantes : leur mobile n’aurait donc pas été le sabotage. L’accès à Internet a été coupé pendant quelques jours en Égypte, mais la panne s’est propagée plus loin, affectant même, par ricochet, le Pakistan et l’Inde, selon une entreprise britannique de sécurité des réseaux.

Pour un des exploitants de ces câbles sous-marins, Mark Simpson, CEO de Seacom, qu’a interviewé la magazine Wired, l’idée que des plongeurs s’attaquent à de tels câbles de fibre optique semble hautement improbable. La tension dans ces câbles est de plusieurs milliers de volts, et un homme-grenouille qui chercherait à les sectionner aurait de bonnes chances d’y laisser sa peau. Un tel sabotage serait « assez inhabituel et assez dangereux », a fait valoir Mark Simpson. Des ancres oubliées et traînant au fond de la mer, ou encore des chaluts de fond, semblent a priori des causes de panne plus plausibles.

Wired a recensé près de 200 câbles de fibre optique qui courent au fond des océans à travers le monde, formant une infrastructure essentielle au fonctionnement du Net. Quel est donc le degré de vulnérabilité de ces câbles ? Protégés la plupart du temps par la grande profondeur des fonds marins et l’obscurité qui y règne, ces câbles sont simplement posés au fond des mers : ce n’est qu’à l’approche des littoraux qu’ils sont enterrés à faible profondeur et qu’une ou plusieurs gaines de protection y sont ajoutées. En pratique, ces installations sont rarement inspectées ou surveillées.

Indépendamment de sabotage, d’ancres oubliées ou de chaluts traînés négligemment, ces câbles peuvent aussi être interrompus par des glissements de terrain ou autres imprévus naturels, avec à chaque fois un possible impact considérable sur le fonctionnement du réseau, à l’échelle locale, régionale voire globale. Un séisme à Taiwan en 2006 avait endommagé plusieurs câbles et coupé les communications vers Hong Kong, l’Asie du Sud-est et la Chine.

En pratique, sauf exceptions, ces câbles ne font pas l’objet d’une surveillance active : ils sont réparés en cas de panne, et certains pays imposent des amendes à ceux dont le comportement risque de les sectionner. Paradoxalement, une surveillance contre les accidents, qui préviendrait les embarcations se rapprochant trop d’un câble, pourrait servir d’aubaine à d’éventuels saboteurs, en les informant de la localisation exacte de leur cible. Comme Panama, l’Égypte est avec son canal de Suez un centre nerveux mondial pour la navigation, et cela vaut aussi pour les câbles de communication internationaux reliant l’Europe, les Amériques, l’Asie et l’Afrique : on en recense quatorze au large de ce pays. Même si une centaine d’incidents affectant les faisceaux de câbles sous-marins sont recensés chaque année, ceux-ci ne semblent pas pour l’instant une cible de sabotage. Malgré les versions contradictoires à son sujet, le récent incident survenu en Égypte montre que la vigilance est de mise.

Jean Lasar
© 2024 d’Lëtzebuerger Land