Elle n’a qu’un globe, de petits cadres avec des drapeaux dessinés à la main dedans, une tenue vaguement orientalisante – et c’est tout. « C’est un choix délibéré de ne pas amener plus d’accessoires, affirme Betsy Dentzer, parce que je ne veux pas imposer trop d’images aux enfants. » Durant quarante minutes, elle raconte chaque premier dimanche du mois et en luxembourgeois, des contes venus du monde entier aux enfants à partir de quatre ans, au théâtre des Capucins. Et elle a été dépassée par le succès auprès du public, à tel point que toutes les séances jusqu’en juillet affichaient complet en un rien de temps. Une deuxième séance, soit à 10, soit à 15 heures à été ajoutée pour y répondre.
L’initiative Erzielsonndeger am Kapuzinertheater – An 80 Märecher ronderem d’Welt remonte à la dernière porte ouverte des théâtres de la Ville, où Betsy Dentzer, jeune (elle a 27 ans) pédagogue de théâtre et conteuse de formation, présenta des contes pour les enfants. Son approche et sa méthode ont tellement plu à Frank Feitler, le directeur des théâtres, qu’il lui a proposé un rendez-vous régulier au Capucins. Pour elle, il était vite clair qu’elle voulait faire quelque chose autour des contes – pourquoi pas un voyage autour du monde ? « Il faut dire que beaucoup d’enfants ne connaissent même plus les contes européens classiques, comme ceux des frères Grimm, » raconte-t-elle. Donc elle voulait y inclure ces frères Grimm, mais aussi faire découvrir des histoires, mythes et légendes beaucoup plus exotiques qu’elle déniche en faisant les bouquinistes. Ces histoires, elle les traduit d’abord elle-même en luxembourgeois et se les approprie ensuite pour les conter quasiment comme si elles les avait vécues elle-même. Ce voyage-ci est parti d’Europe en janvier pour ensuite traverser l’Orient dimanche dernier, passe par l’Asie, l’Afrique, les Indiens d’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, puis l’Australie pour clôturer le cycle en juillet. « J’ai toujours cherché des histoires qui aient un début, un milieu et une fin et soient assez brèves et facilement compréhensibles, » souligne Betsy Dentzer, ce qui n’est pas toujours le cas pour toutes les formes de la tradition orale.
Ce dimanche-là donc, une quarantaine d’enfants, habitués par ailleurs à une surstimulation multi-sensorielle et des films ou jeux hyperkinétiques, sont assis par terre sur des coussins et écoutent très sagement, scotchés aux lèvres de Betsy Dentzer, les histoires de la fille du Padishah de Turquie, enfermée par son père dans l’attente du gendre parfait, celle de la malice de Nasredine Hodja, également de Turquie, telle autre d’un pauvre homme d’Arabie Saoudite qui renverse d’un coup de pied toute l’huile qui devait faire sa fortune ou de l’homme modeste au Pakistan qui, au lieu d’aspirer vers l’impossible, demande uniquement à un bon esprit qu’il lui répare son métier à tisser, pour qu’il puisse assurer lui-même la survie de sa famille...
Alors, certes, on pourrait disserter sur l’idéologie rétrograde souvent douteuse de tous ces contes, qui nous disent en gros que chacun doit rentrer dans les rangs, rester modeste et suivre les traditions, sans jamais se rebeller ou aspirer à une autre destinée, ou sur le rôle subalterne qui y est dévolu aux femmes. Mais ce serait gâcher ce plaisir tout simple d’écouter quelqu’un qui raconte des histoires, un peu vieux jeu, certes, mais tellement stimulant pour l’imaginaire des enfants.