L’idée d’un séjour à l’étranger comme récompense d’un concours de beaux-arts date de 1663 avec la création du Prix de Rome comme bourse d’étudiants. Un prix prestigieux qui se traduisait essentiellement par une résidence d’artiste pouvant aller de six mois jusqu’à plusieurs années. Cette résidence s’est établie au début du XIXe siècle à la Villa Médicis à Rome et continue aujourd’hui à accueillir des artistes et créateurs dans ses murs. Certes la Ville haute de Luxembourg n’est pas vraiment le Monte Pincio, mais depuis 2010, le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain propose deux résidences d’artiste par an dans son programme de création du Project Room. Enrico Lunghi avait lancé l’idée de mettre à disposition deux salles à un artiste pour y exposer un projet particulier, hors du contexte des expositions programmées dans cette Kunsthalle luxembourgeoise.
Après la transformation de ces salles en bibliothèque, le nouveau directeur artistique, Kevin Mühlen, a mis à disposition l’Aquarium du Casino à des artistes admis en résidence, en général assez fraîchement sortis d’académies des beaux-arts ou d’écoles d’art, qui sont choisis sur dossier par un jury international. Le Casino prend en charge le voyage, et un studio à Neumünster, propose un budget de 10 000 euros de frais de production agrémentés de 2 000 euros de frais de bouche et de 1 500 euros de rémunération. Les artistes ont deux mois pour concevoir un projet dont les résultats, non obligatoires, seront exposés.
Jusqu’à présent quatre artistes, venant de pays aussi lointains que la Corée du Sud, pour Hong-Kai Wang, ou alors aussi proches que la Belgique pour Wannes Goetschalckx, qui vient de terminer son travail de bûcheron en décembre 2011, ont bénéficié de ce programme unique au Luxembourg. Kevin Mühlen précise qu’il entend bien que le contexte du grand-duché est censé inspirer les artistes invités, mais que l’intégration du contexte local, voire national au projet artistique n’est nullement imposée par l’autorité du Casino. C’est une attitude de laisser-faire généralisée, politiquement correcte, parmi les jeunes curateurs en ce moment. Mais lors de la table ronde Une résidence d’artiste peut en cacher une autre1, l’artiste Gerson Bettencourt (qui a parlé de son « entrée dans le monde des résidences ») a clairement laissé entendre qu’il y avait des attentes de la part des institutions qui organisent les résiden[-]-ces (dans son cas, le Künstlerhaus Bethanien à Berlin), et qu’il valait mieux ne pas les décevoir.
Un autre projet du Casino semble, malgré son aspect jeuniste, plutôt tourné vers le passé. En effet, du 15 septembre au 9 décembre 2012, le Casino Luxembourg se transformera en Atelier Luxembourg pour accueillir seize artistes luxembourgeois qui devraient investir les lieux pour les utiliser en tant qu’ateliers de création et de production. Alors que le Musée de la Villa Vauban vient de déconstruire le mythe de l’atelier dans le contexte d’une exposition historique2, le Casino-Luxembourg reprend une idée abstraite et désuète de l’atelier pour «divulger les coulisses du travail d’artiste »3.
La stratégie semble clairement celle de prendre une part de plus en plus active dans l’actuelle production artistique dans notre pays. Or, cette politique n’est pas exclusivement altruiste.
Les institutions concernées par les arts plastiques contemporains souffrent d’une inertie structurelle qui leur rendra la tâche de plus en plus difficile dans le contexte des musées imaginaires foisonnant sur la toile. La rapidité des nouveaux (sic) médias remet en question le concept même des lieux et des architectures d’exposition. Le Casino Luxembourg tente justement d’y donner une réponse tout en essayant de réorienter son identité institutionnelle. Mais il y a un bémol notable : dans cette perspective, chaque choix implique, dans le contexte local, des exclusions, celle des artistes qui ne se sentent pas à l’aise dans le cadre conventionnel des institutions, ou qui refusent tout simplement de prendre part à un système où l’équipe du Casino choisit avec une autorité qu’elle s’est attribuée elle-même.
Et le fait de prendre un ascendant sur la production artistique, aussi bien dans le cadre des résidences, que dans celui de Making of – Ateliers Luxem[-]bourg4, va bien au-delà d’une simple fonction d’exposition que le Casino avait essentiellement assurée sous la direction artistique d’Enrico Lunghi. L’encadrement, et l’influence (non admise mais réelle) de l’institution, peut rapidement se mettre à ressembler à un académisme à peine travesti. Il y a ici des contraintes, des règles mais aussi des attentes qui donnent une superstructure conventionnelle qui est bien différente du curatoriat d’expositions. Friedrich Dürrenmatt, dans son essai sur la liberté au théâtre l’a précisé : « Was aus Konvention existiert, ist eine Institution ».
Reste à voir comment le Casino Luxembourg va assumer ce rôle situé quelque part entre lieu d’exposition et lieu de production, entre stage post-graduate en arts plastiques et Summerakademie locale.