Sons et lumières signés Cerith Wyn Evans

d'Lëtzebuerger Land vom 08.11.2024

Presque vingt ans après sa dernière grande exposition monographique au Musée d’art moderne de Paris, Cerith Wyn Evans est de retour en France avec Lueurs empruntées à Metz. Le Centre Pompidou-Metz a réuni pour cette occasion une vingtaine de sculptures et d’installations lumineuses et sonores de l’artiste, tout en ayant eu l’intelligence de mobiliser des savoir-faire locaux, tels que Les Pépinières de Metz ou la cristallerie de Saint-Louis pour la réalisation de certaines pièces. Une transversalité entre l’international et le régional devenue une pratique régulière de cette institution.

Né au Pays de Galles en 1958, Cerith est le fils d’un photographe et peintre renommé, Sulwyn Evans. Après un cursus en art à la fin des années 1970 au sein de la Saint Martin’s School of Art (Londres), il rejoint l’underground britannique où se manifeste un fulgurant renouveau dans les arts, du punk au cinéma en passant par la danse et le théâtre. C’est brut, bruyant, beau et laid à la fois. Surtout, ça réveille les sens et les gens. Cerith Wyn Evans débute par le cinéma expérimental, comme assistant de Derek Jarman. Il participera à certaines de ses créations, comme le magnifique Caravaggio (1986), sans doute le plus beau portrait consacré au maestro du clair-obscur. Des débuts saisissants, au sein de la meilleure école britannique, qui influenceront durablement le travail d’Evans. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un œil à son court-métrage Degrees of Blindness (1988), qui réunit notamment Tilda Swinton et Michael Clark, danseur punk et queer formé auprès de Merce Cunningham. Dans un magma de couleurs et d’inventions qui brasse large, des fresques de Masaccio aux jeux d’arcade, sans oublier un art du maquillage et des costumes poussé à outrance, l’influence de Jarman est tout à fait prégnante. On y reconnaît une même inclinaison à l’artificialité, à l’excentricité, au mélange du profane et du sacré, tout en passant de l’état de nature à la société de consommation et de consumation dominée par les flammes et l’enfer de l’argent... Folie visuelle obsédée par le motif de l’œil, Evans orchestre, avec Degrees of Blindness, le carnaval postmoderne d’une époque qui ne ressemble à rien d’autre. L’artiste a aussi collaboré aux clips vidéo de groupes de musique, tels que The Smith ou Throbbing Gristle.

Les années 1990 sont marquées par le passage à la sculpture et aux installations, bien que la présence du cinéma, art du mouvement et de la lumière, affleure encore. Comme en 2003 à la Biennale de Venise, lorsque l’artiste gallois utilise un vieux projecteur de la Seconde Guerre mondiale pour lancer un faisceau de lumière, clignotant par intermittence et retranscrire du morse. L’attrait de l’infini, du transcodage (traduction d’un signal en un autre) et pour les états lumineux, sont au cœur de la manifestation du Centre Pompidou-Metz. Dès le Forum, le grand hall de l’entrée où sont disposées des pièces monumentales en guise d’introduction à l’exposition, Evans nous projette loin, à des années lumières, en présentant notamment deux grandes améthystes, qui luisent en leur intérieur de tous leurs cristaux. À côté de ces témoignages d’un temps immémorial reposent des plantes dans des pots en plastique, énième variation sur le jardin d’hiver de l’artiste, que l’on sait féru de Marcel Broodthaers. Il s’agit d’un hommage autant que d’une allusion à l’artiste conceptuel belge, auquel on doit, en 1974, Un Jardin d’hiver où l’exposition de palmiers était assortie d’un discours consistant à faire du musée un espace dévitalisant tout ce qui s’y expose, à l’instar de la colonisation et de ses collections constituées de pièces pillées. Preuve en est, l’artiste gallois a hissé au sommet du Forum un squelette, pièce spécialement conçue pour cet espace, dont l’ombre se reflète doublement sur ses parois. Au milieu de cette végétation s’étend l’œuvre intitulée S=U=P=E=R=S=T=R=U=C=T=U=R=E (2010), deux immenses colonnes doriques de plus de dix mètres de haut, laissées éteintes, à contre-emploi donc. Ainsi dépourvue de valeur d’usage, cette immense sculpture se présente comme un vestige de la civilisation occidentale.

À la Galerie 3, dont les deux baies vitrées offrent des panoramas sur la ville, d’autres colonnes doriques sont cette fois-ci illuminées. Sous sa nouvelle dénomination, StarStarStar/Steer (2019), ce sont cinq colonnes qui scintillent à tour de rôle, et progressivement, pour une variation d’intensité allant de l’extinction à l’éblouissement, à la façon d’une respiration. L’espace où prend place cette partie de l’exposition ressemble à un palais des glaces : toutes les parois ont été recouvertes de miroirs, en écho à l’expo Buren qui s’y était tenue en 2011. Non loin de ces colonnes se tiennent des Neon Forms (2015-2019), des sculptures suspendues, réalisées en néons. À l’inverse de Lucio Fontana, le premier à avoir employé ce type de matériau, Evans ajoute du mouvement à ses néons, traduit cette écriture de lumière en autant de gestes inspirés de la pratique du théâtre nô, comme celui d’un éventail s’ouvrant. Une démarche sensiblement analogue qu’il reproduit dans ses Metz Drift (2021), en référence à la température de lumière bleutée que l’on rencontre dans le Grand Est. Une autre installation, à l’aspect étrange, a la forme d’une toile d’araignée ; il s’agit de Composition for 37 Flutes, pour laquelle Evans a remporté en 2018 le prix Hepworth for Sculpture. Nulle lumière n’émane de cette œuvre autonome, qui fonctionne de façon circulaire à partir de son environnement. En effet, un moteur aspire l’air au sein de la salle. Il transite à travers des tuyaux au bout desquels se trouvent des flutes en cristal. L’air devient ainsi sonorité, selon un principe de transformation des éléments qui est à l’œuvre dans la plupart des installations d’Evans. Ainsi de son Mantra (2016), sculpture composée de lustres de tailles sensiblement différentes. Équipés de dispositifs de traitement électronique, les lustres réinterprètent, via des signaux lumineux intermittents, l’enregistrement d’une pièce pour piano composée par l’artiste. Ainsi en est-il également de Sounding Felix (2022), installation d’éléments composites (chaises empilées, cymbales, couvertures de survie) intégrant un discours du psychanalyste Felix Guattari prononcé à l’université de Vincennes en 1975. De même que la musique est faite aussi de silence, certaines sculptures jouent, au lieu de la lumière, de la transparence des surfaces, à l’instar des pare-brises de voitures et de camion qu’Evans a fait éclater à l’aide d’un marteau, pour produire des déformations perceptives chez le spectateur. Dans son dialogue continu avec d’autres artistes, le plasticien convoque dans sa série Neon after Stella les Black Paintings réalisés par Frank Stella à la fin des années 1950. Il s’agit de grands tableaux de lumière où le négatif devient positif, sur le modèle de la photographie argentique : « Je vois les originaux de Stella comme une espèce de partition que je joue en la transcrivant dans un autre registre visuel et spatial », remarque le plasticien. C’est sans doute l’une des installations les plus réussies de la manifestation messine. Avec l’avantage, pour le public, de pouvoir regarder au travers de ces toiles de lumière, comme s’il fallait à chaque fois outrepasser la matière, le support, grâce au seul rayonnement de la lumière. Cerith Wyn Evans est assurément un grand métaphysicien.

L’exposition Lueurs empruntées à Metz
de Cerith Wyn Evans est visible jusqu’au 14 avril au Centre Pompidou-Metz

Loïc Millot
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