Comment Letizia Romanini transforme en bijoux une collecte glanée dans la nature

L’alchimiste

d'Lëtzebuerger Land vom 25.10.2024

L’effet est surprenant. On ne s’attend pas, en poussant la porte de la galerie Reuter Bausch, à se retrouver face à un raffinement qui confine au luxe. Pourtant, lors de l’exposition 5km/h, à la galerie Nei Liicht à Dudelange, notre conclusion était « l’esthétique de Letizia Romanini résonnera comme un hommage à l’écosystème en voie de destruction. » (d’Land 29.09.2023)

C’est exactement ce que cette glaneuse qui a ramassé sur branches séchées, écorces d’arbre, petits cailloux et minéraux fait ici à la galerie. Elle se transforme en créatrice de bijoux, de foulards en mousseline, de tapisserie en velours… Des pièces uniques, que l’on peut mettre chez soi bien sûr, sous la forme d’installations d’art au mur. Les mousselines de soie, imprimées des photographies de la nature qu’elle avait prises lors de son tour du Luxembourg à pied, sont inspirées de bouts d’étoffe en lambeaux, restés accrochés dans des branches d’arbres lors de la crue des rivières.

Le titre renvoie à la nature ensauvagée : Plus d’épines que de roses. Ainsi donc, les étoffes (impressions photographiques sur mousseline et velours) d’arbres, de berges de rivières, de champignons, de souches et d’arbres sont fixées au mur par des chardons, une feuille, un minéral ainsi que du polystyrène ramassé et déjà bien rabougri par son séjour dans une friche végétale. Mais Letizia Romanini, l’alchimiste ou la fée, les a figés dans la fonte de bronze. Cette idée de valorisation d’éléments naturels et de déchets ne lui vient pas de nulle part : licenciée des arts visuels à l’Université de Strasbourg, elle a ensuite intégré l’École supérieure des Arts Décoratifs option Objets - matériaux souples.

Aujourd’hui, elle-même enseigne dans une école d’excellence, la Haute École des Arts du Rhin (HEAR). Pour avoir vu les résultats des travaux de diplôme d’étudiants dans les vitrines du ministère de la Culture à Paris, au Palais-Royal, on a pu constater l’alliance entre arts visuels, expérimentation des matériaux, design textile. Une approche pluridisciplinaire que Letizia Romanini maîtrise avec brio et transmet désormais.

Plus d’épines que de roses… En effet, des tiges de robiniers, transformées en objets d’art en fonte de bronze, prennent appui contre un mur de la galerie. S’ils peuvent faire penser à des bâtons de marche, on ne pourra pas s’en saisir puisqu’ils se défendent de toute prise avec leurs piquants ! C’est dire si, pour Letizia Romanini, à quel point la nature est résiliente. Elle est maligne aussi, puisque telle personne qui portera en boucles d’oreilles ou en broche des petits morceaux de nature ramassés, donnera une autre vie, assurément citadine, à des résidus ennoblis, devenus bijoux (fonte de bronze plaqué or).

Il y a un peu plus de cent ans, la nature épanouie inspirait architectes et artistes : les Horta, Guimard, Gallé, Fortuny. Aujourd’hui, une artiste sensible et engagée comme Letizia Romanini célèbre la nature comme un travail d’alerte. Il n’y a donc pas de beauté en soi, d’esthétique pour l’esthétique dans son travail. Aussi est-on quasiment encore plus surpris dans la deuxième partie de l’exposition, non pas par le thème – floral et minéral toujours – mais par la technique. Il faut un moment pour s’habituer à regarder tout d’abord les couleurs que l’artiste a voulues puissantes (bleu turquoise, violet), puis, la « dématérialisation » en quelque sorte de ce que l’on voit. Pourtant, ces tableaux, Lux_Field, proviennent eux aussi au départ du reportage photographique de la marche le long des frontières du Luxembourg.

La technique est la marqueterie de paille. Letizia Romanini l’a apprise lors d’une résidence à Paris à la Cité des Arts, auprès du dernier artisan qui pratique cet assemblage. Les tiges végétales séchées sont entaillées, aplaties, puis assemblées selon différents motifs : la pose en éventail, la pose en pyramide, etc. Ce qui donne sa modernité à la série Lux_Field, c’est le mélange des techniques, les couleurs fortes. La rareté de son usage lui peut être déconcertant pour le regard. Même travaillé de manière contemporaine.

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Plus d’épines que de roses

, de Letizia Romanini, est à voir jusqu’au 9 novembre à la galerie
Reuter Bausch

Marianne Brausch
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