C’est la première fois que Sam Krack, né en 1993 à Dudelange et qui vit à Sète dans le sud de la France, expose dans son pays natal. C’est presque enfoncer une porte ouverte de dire que le Luxembourg fait figure d’îlot de bien-être au milieu d’une Europe occidentale qui vacille sur ses bases. Sam Krack vit loin de ce ronronnement rassurant. C’est aussi pour cela qu’il faut saluer la galerie Valerius qui expose son travail radical, sous le titre Traces de vie (qui se termine ce week-end). Car sa base de travail, est de valoriser des objets (fauteuil de jardin en plastique, rideaux d’occasion) et des lieux banals (cuisine et salle de bain décaties, location de vacances meublée à minima) qu’il élève au statut d’œuvres artistiques.
Cet aspect bon marché, déjà visuellement déroutant, l’est aussi par le choix audacieux de ce tout jeune artiste, diplômé il y a tout juste trois ans : l’installation. Deux des ensembles présentés à la galerie Valerius, Artemis et Monobloc, auraient d’emblée leur place dans un musée. Le récit pictural de Sam Krack commence par ce modèle de fauteuil de jardin en pastique le plus vendu au monde. C’était au Musée Fabre, à Montpellier en 2022. À la manière de Duchamp, Sam Krack (diplômé de l’École des Beaux-Arts de Montpellier en 2019), avait donné à cette chaise terrasse le statut d’objet d’exposition, en réalisant trois moulages en céramique (Monobloc), disposés parmi les peintures anciennes.
Un visiteur, qui n’était pas au fait de ce mélange de pièces contemporaines parmi les collections classiques, en a cassé un en s’asseyant dessus. Les pièces à conviction du sinistre sont là, à la Valerius gallery, exposées sous forme de trois peintures à l’huile sur toile (Sinistre I, II, III). Sam Krack ne s’est pas installé avec un chevalet devant la scène de l’accident pour la reproduire. Il a peint d’après les photographies prises pour établir le dossier d’assurance. Du passage de l’objet banal (le fauteuil en plastique) à la pièce d’exposition (les moulages en céramique Monobloc), l’accident a donc donné une valeur marchande à la sculpture endommagée.
C’est aussi devenu, comparable à l’effet papillon, une source d’inspiration pour une nouvelle série de toiles, Nouveau sinistre I et II, réalisées en 2023. Ici, un vrai fauteuil de jardin en plastique cassé en mille morceaux est exposé au pied de leur reproduction à l’identique, comme s’il s’agissait d’un motif de toiles accrochées aux cimaises d’un musée. C’est aussi tout sauf le hasard qui est le point de départ de État des Lieux - Artemis, du nom de l’agence immobilière qui a loué son appartement à Sam Krack. Cette installation, est le récit pictural qui va de l’état des lieux d’entrée en 2019 à la sortie trois ans plus tard, en 2022.
Les toiles sont peintes d’après les prises de vue de l’agence pour le document administratif : cuvette de WC, trousseau de clés, compteur d’eau, évier de cuisine, plaques de cuisson, lavabo de salle de bain, élément haut de cuisine. « La description très pragmatique qui accompagne les images est remplacée par un champ propre… à la peinture », explique Sam Krack. Depuis, l’appartement est occupé par un autre locataire et les éléments de l’appartement peints, sont devenus pure fiction. Ils voyagent dans une caisse en bois et ont été montrée dans les expositions Trans(m)issions au MO.CO à Montpellier et Peintures barbares au Lieu Commun à Toulouse en 2022, avant donc de trouver leur ordonnancement d’accrochage sur une reproduction imprimée façon papier peint de la cuisine grandeur nature, qui couvre tout un mur de la galerie.
Sam Krack se dit influencé par le philosophe Walter Benjamin, « figure importante dans la manière de penser mes pièces au sein du tissu culturel dont elles émergent. » Si Monobloc (Sinistre) et État des Lieux - Artemis, nous semblent témoigner à la fois du réalisme pictural et du détachement du réel de la jeune peinture actuelle, c’est littéralement le cas des pièces de la série Rideaux (Décoration). Le processus est identique – prises de vue sur un site de vente d’occasion sur Internet et peinture reproduisant à l’identique la mise en scène du vendeur. La particularité de ces Rideau toile jaune verte TBE, Rideau motifs Arum I et II, est que Sam Krack les a achetés et que l’élément réel de l’œuvre, le vrai rideau sert de toile de fond à la reproduction peinte.