Dans toute l’Italie, enseignants, étudiants et personnel administratif ont manifesé la semaine passée contre les nouvelles réformes et les coupes budgétaires dans l’Éducation. L’Université italienne souffrait déjà de précarité et était déjà sous-financée auparavant. Les nouvelles coupes budgétaires prévues font craindre de nouveaux problèmes à moyen terme. En 2022, seulement 0,3 pour cent du PIB était destiné à l’enseignement supérieur. La proportion s’amenuit encore avec la coupe budgétaire de 500 millions d’euros prévue : 173 millions d’euros de réduction linéaire par rapport à 2023, ainsi que le détournement de 340 millions du plan de recrutement extraordinaire prévu par la loi budgétaire de 2022. À ce montant s’ajoute également la non-couverture des 300 millions d’euros nécessaires pour les augmentations salariales du personnel structuré, c’est-à-dire du personnel qui détient un rapport officiel de travail avec l’université, réglementé par un contrat régulier. Une réduction importante à laquelle doivent donc faire face les universités qui s’ajoute à la problématique de l’inflation. Cela signifie que la plupart des universités devront probablement revoir leur planification, en réduisant entre autres drastiquement le recrutement de jeunes chercheurs et mettant un frein aux progressions de carrière au cours des prochaines années.
Les coupes budgétaires s’accompagnent d’un projet de loi de la ministre de l’Université, Anna Maria Bernini. Selon cette dernière, la réforme sert à valoriser et promouvoir la recherche. Cependant, le personnel académique et les étudiants n’y voient aucune valorisation, bien au contraire. L’ADI (Association des doctorants en Italie) qualifie le projet de loi d’« humiliation à la recherche ». Aujourd’hui déjà, 90 pour cent des doctorants se voient expulsés de l’université après 10-15 ans de précarité au lieu d’avoir enfin droit à un contrat en bonne et due forme.
La vie après le doctorat est souvent marquée par une succession de contrats de court-terme. Il s’agit en effet d’une période durant laquelle les post-doctorants se voient souvent forcés d’accepter des assignations aux quatre coins du pays afin d’obtenir un salaire. L’indemnisation peut également être perçue comme des subventions de recherche, ce qui n’est pas reconnu comme un contrat officiel. Une fois que les subventions expirent les chercheurs n’ont aucune sécurité ou aide. Et la rémunération moyenne s’élève à 1 437 euros par mois.
Mais ce ne sont pas seulement les doctorants qui souffrent de ce précariat. Une proportion significative du personnel académique ne fait pas partie du personnel structuré, dont les enseignants/professeurs, qui seraient en charge d’un tiers des cours universitaires. La grève du 31 octobre n’est donc pas seulement une grève « défensive ». Elle sert à réagir et faire face aux nouvelles coupes budgétaires et réformes mais elle vise également à dévoiler l’état de dégradation actuel de l’éducation et des universités.
La ministre Bernini veut « surmonter l’enfer du précariat » avec une réforme de la « prétitularisation ». Mais elle ne passe pas. On reproche à la ministre de n’avoir pas échangé avec les personnes directement concernées sur le terrain. La réforme annoncée en août, ajoute différents rôles pour les chercheurs post-doctorants, c’est-à-dire entre la fin des études supérieures et le début de l’activité de recherche individuelle. Parmi ces nouveaux rôles : l’assistant junior, l’assistant senior et la fonction de professeur adjoint. Certains de ces nouveaux rôles, tout comme les subventions de recherches, ne sont pas reconnus comme de réels emplois et ne bénéficient donc pas, à leur tour, de protection sociale (maladie, congés, indemnités de chômage et cotisations diverses, ainsi qu’un manque de représentation syndicale et la difficulté de pouvoir faire une demande de prêt). La durée du parcours précaire post-doctoral est donc encore prolongée.
À noter que la réforme Bernini prévoit également la possibilité pour les nouveaux entrants dans ces nouveaux rôles d’êtres cooptés. Le recrutement direct par un professeur remplacerait ainsi un concours ou des évaluations comparatives des comités ou départements académiques. Ceci risque de renforcer le népotisme et les « baronnies universitaires » dans les universités italiennes, craignent les opposants au projet de réforme.
La « fuga dei cervelli » (fuite des cerveaux) ne cessera pas de sitôt. Elle réduira encore le nombre de personnes qualifiées. Ceux qui restent feront face à une précarité constante, dépendant de subventions ou passant d’un contrat à court terme à un autre. Il faut donc s’attendre à une baisse supplémentaire de la qualité de l’enseignement et de la recherche. Et tandis que le gouvernement coupe dans l’enseignement, dans le système de santé, dans les transports et dans les services publics, les dépenses militaires augmentent à vue d’œil : cinq pour cent par rapport à 2023.
La grève scolaire et les manifestations du 31 octobre ne sont que le début de ce qui s’annonce comme un mois de novembre rebelle. Le 11 novembre, toutes les écoles publiques seront en grève.
Même si l’attention principale se porte sur les universités, les écoles font face aux mêmes types de problèmes avec beaucoup de personnel précarisé. S’ajoute également la réforme du ministre de l’Éducation et du Mérite, Giuseppe Valditara, qui veut renforcer la discipline dans les écoles. Il vise à remettre la « conduite » au centre du système éducatif. Le comportement pèsera dans la moyenne générale des élèves et pourra être cause de redoublement. Cette réforme est fortement soutenue par le gouvernement qui y voit un moyen efficace de lutter contre la violence envers les professeurs et d’augmenter la discipline et la responsabilité individuelle des élèves.
Cependant, cette nouvelle réforme a suscité de nombreuses critiques. La FLC CGIL (Fédération des travailleurs de la connaissance), qui a d’ailleurs appelé à la grève du 31 octobre, considère qu’ « il s’agit de mesures qui confirment l’idéologie sous-jacente de cette législature qui, au nom d’un prétendu mérite, sélectionne, stigmatise les différences, rejette les plus défavorisés et méconnaît la valeur du savoir et de la relation éducative comme instruments d’émancipation et de transformation pour la construction du bien commun et d’un modèle social alternatif. »
Le 15 novembre les personnels scolaires manifesteront entre-autre contre le recours systématique aux remplacements et pour favoriser le recrutement de candidats appropriés. Le secteur de la santé, les transports publics ainsi que l’aviation prévoient eux aussi de leurs côtés diverses grèves ce mois-ci.