Après près d’un an de rappels de la part de la région Toscane, des autres institutions locales et des syndicats, la table de crise au ministère de l’Entreprise et du Made in Italy (Mimit) a finalement été convoquée le 26 mars dernier. Cependant l’entreprise propriétaire Qf ne s’est pas présentée à la réunion. Une provocation envers les travailleurs et les syndicats qui y ont vu un énième prétexte pour ne pas agir et trouver finalement des solutions concrètes pour le site et les travailleurs. Le liquidateur Gianluca Franchi avait d’ailleurs annoncé qu’il ne se présenterait pas avant que la loi ne soit rétablie à l’intérieur du complexe industriel, sous prétexte de violences présumées dans l’ex-fabrique. En parlant avec certains travailleurs et selon les interventions des syndicats présents lors de la visite du liquidateur, il semblerait cependant que celui-ci ait inventé ces faits de violence. Les provocations envers les métallurgistes et les syndicats pour tenter de les faire quitter le site sont restées sans réaction. Légalement la police ne peut en effet pas les expulser. Leur licenciement serait nécessaire pour les obliger à quitter les lieux.
Le liquidateur s’en prend également aux différents événements organisés par la résistance ouvrière. Il affirme que le site est utilisé pour l’organisation de rave pqrty et concerts illégaux, alors que les concerts ont toujours été organisés dans le cadre d’une assemblée légale avec comme but d’attirer l’attention sur la cause. Dans la ligne de mire du liquidateur également un prochain événement qu’il considère « abusif », pour lequel le collectif a eu le feu vert de la part de la commune de Campi Bisenzio. Il s’agit du festival Letteratura Working Class qui devrait avoir lieu les 5, 6 et 7 avril et auquel participeront des invités de toute l’Europe. Il prétend qu’il s’agit ici « business illégal » dans l’établissement alors que l’entreprise propriétaire n’a elle-même jamais respecté ses devoirs stipulés par la loi envers les travailleurs. D’ailleurs la réunion du 26 mars dernier a donné raison aux métallurgistes et elle a permis de constater que l’entreprise n’a pas respecté les exigences de la loi (décret Orlando sur la lutte contre la délocalisation), étant donné qu’à ce jour, aucun plan social d’atténuation, ni de réindustrialisation n’a été mis en place. Les relations de travail avec le personnel sont toujours en vigueur et consistent donc, également, en des droits complets à la rémunération. Les propriétaires peuvent continuer à pointer du doigt mais ils ne pourront donc pas cette fois-ci se soustraire à leur devoir.
L’acteur Elio Germano figure parmi les défenseurs des ouvriers et du prochain événement : « On dit que les vaincus n’écrivent pas l’histoire. Et parce qu’ils veulent que les travailleurs soient vaincus, la classe ouvrière ne devrait pas écrire sa propre histoire. Et c’est peut-être pour cela que ceux qui licencient, précarisent et délocalisent, voient dans le Festival de littérature de la classe ouvrière une terrible menace. Avec la précarité et les baisses de revenus, les travailleurs sont privés du temps nécessaire pour cultiver leur imaginaire collectif. Ils restent dans un éternel état de survie. La classe ouvrière, elle, pour se relever, a besoin de s’approprier ses propres mots. Et puis écrire, imaginer, prendre soin de son propre imaginaire », s’est-il prononcé.
C’est bien ce que tentent de faire les ouvriers, qui, bien qu’ils aient été licenciés, se battent à bout de souffle pour la classe ouvrière. Ils osent parler de réindustrialisation et de transition écologique. Les métallurgistes n’ayant pas perçu de salaire depuis maintenant plus d’un an ont cependant plus de mal à résister, et cela a clairement contribué à la diminution du nombre de résistants. Effectivement des 300 travailleurs résistants initiaux, un peu plus de la moitié lutte encore et continue à occuper l’ex-usine de manière historique.
L’histoire de la lutte de l’ex-GKN est longue. Tout a commencé à l’été 2021 après l’annonce du fonds d’investissement anglais Melrose – qui avait racheté la GKN en 2018 – de vouloir fermer la fabrique pour la délocaliser. Licenciant ainsi du jour au lendemain 422 ouvriers par l’envoi d’un simple email. Et tandis que le fonds anglais pensait que les jeux étaient faits, les ouvriers licenciés s’étaient alors rebellés pour défendre leurs droits. Ils ont très vite donné naissance au collectif « Collettivo di Fabbrica » et au mouvement « Insorgiamo » (Insurgeons-nous), organisant manifestations sur manifestations au cours des dernières années. En janvier 2023 un film documentaire a également vu le jour : E tu come Stai ? (Et toi, comment vas-tu ?) qui montre différentes manifestations et présente les moyens juridiques et politiques mis en œuvre pour préserver l’usine et les emplois tout en donnant également un aperçu des sentiments des travailleurs et des personnes qui les soutiennent. Le documentaire met en évidence les motivations des travailleurs qui ne se battent pas seulement pour leur propre emploi mais aussi pour celui d’autres ouvriers licenciés injustement. Ils ont notamment apporté leur soutien aux ouvriers de l’ex compagnie aérienne Alitalia et de la chaîne de mobilier Mondo Convenienza. Ainsi l’ex-GKN est devenue le symbole de la résistance ouvrière et des droits des travailleurs en Italie.
En 2022 l’usine a été rachetée par Francesco Borgomeo (Qf). Après de nombreuses protestations contre le nouveau propriétaire en 2022 et 2023 celui-ci avait décidé de définitivement renvoyer les métallurgistes. Le 12 octobre, une réunion se tenait à laquelle assistaient la sous-secrétaire d’État du Mimit, Fausta Bergamotto du parti de droite Fratelli d’Italia, et le gouvernement de la région Toscane pour parler du plan de réindustrialisation ; sans cependant inviter le collectif de l’ex-GKN. Le 27 décembre, le tribunal de travail de Florence annulait le licenciement collectif des 181 travailleurs restants. C’est une petite victoire pour les ouvriers de l’ancienne usine de Campi Bisenzio.
Quelques jours plus tard, 7 000 personnes passaient la nuit de la Saint-Sylvestre sur le site de l’usine. Les personnes rassemblées n’ont pas perdu l’occasion d’initier une nouvelle manifestation pour commencer la nouvelle année. Ils ont alors exigé que l’usine soit remise aux travailleurs.
Les ouvriers et le collectif n’ont pas simplement occupé le site pour passer leur temps à organiser des événements, comme veulent le faire penser les opposants au mouvement ouvrier, mais ils ont réfléchi, tout en étant épuisés par leur longue bataille, à des solutions pour réindustrialiser le site. Dans le passé la GKN était l’un des principaux fournisseurs de demi-arbres d’essieux de Fiat, cependant les métallurgistes pensent à se convertir et à produire des vélos-cargos et des panneaux photovoltaïques. Ils proposent ainsi des idées de productions locales, utiles également à la région Toscane, tout en se tournant vers le futur et la transition énergétique. Raison pour laquelle ils ont su gagner le soutien des défenseurs de l’environnement, notamment les activistes de Dernière Génération. Le mois de décembre dernier ces derniers avaient bloqué une des voies rapides vers Rome pour y faire une marche lente de solidarité pour la GKN. Dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on les voit arrêter des voitures, équipés de bannières arborant le logo du collectif de l’usine. Le 19 avril, le Collettivo prévoit également de participer à la grève pour le climat et au congrès sur la convergence climatique à Milan.
Outre le mouvement vert, la commune de Campi-Bisenzio, la FIOM-CGIL (fédération italienne des métallurgistes) et d’autres travailleurs licenciés injustement, de nombreux civils prennent également le parti de l’ex-GKN. En effet, certaines des manifestations organisées au cours des dernières années avaient compté des milliers de participants. Une des plus impressionnantes a été celle du 18 septembre 2021, qui avait atteint près de 40 000 participants défilant dans les rues de Florence. Tandis que l’on attend maintenant la convocation de l’entreprise propriétaire de la part du gouvernement pour enfin la rappeler à l’ordre, le Collettivo compte également sur le soutien international pour collecter des fonds pour la réindustrialisation de la fabrique et finalement pouvoir se forger un avenir et cesser cette résistance historique.