Un été pas comme les autres, mais à vrai dire, ce dont il va être question s’avère d’un coup la moindre des choses. Et pourtant, il ne peut s’agir de laisser la culture de côté, même par ces temps compliqués. Des villes de Provence, Avignon, Arles, Aix, à Vienne, en passant bien sûr par Bayreuth, les festivals ont été annulés, les uns plus vite que les autres. Il est resté, non pas un village, comme dans la légende gauloise, à résister ; une ville, Salzbourg, qui a maintenu contre vents et marées du virus, le sien, il est vrai le plus ancien, et sans doute l’immense impact sur l’économie, de la ville, de la région tout entière, y a été pour beaucoup.
Autre chose a peut-être été non moins déterminant. Le festival de Salzbourg fête justement en cette année malheureuse son centième anniversaire, et ça devait être la dernière année de sa présidente Helga Rabl-Stader. On n’arrête pas dans l’abandon, elle va d’ailleurs prolonger, avec ses compagnons du triumvirat (mal nommé), l’intendant Markus Hinterhäuser et le directeur commercial Lukas Crepaz.
Ce qu’il a dû coûter de courage, d’obstination, pour faire ce cavalier seul risqué, il a suffi de lire encore dernièrement dans le Kurier l’entretien du chef de l’Albertina de Vienne, Klaus Albrecht Schröder, arguant que le virus, avec ses morts, ses malades, nous a appris à nous passer de théâtre, « wie kann man dann sagen, man könne ohne Theater nicht leben ». Ce qui n’a pas empêché le même homme de réclamer plus d’argent pour sa propre institution. Réponse cinglante du nouveau chef de l’opéra, Bogdan Roscic, successeur de Dominique Meyer depuis le 1er juillet : « Meinungsmüll… Hybris, Ahnungslosigkeit und Perfidie… »
À Salzbourg, on est à quelque 300 kilomètres de pareille chamaillerie, dispute sans conséquence. En toute conscience, de strictes règles sanitaires ont été édictées, depuis la vente des billets jusqu’à la répartition des places en passant par le comportement de tous les participants. Et l’on a commencé par réduire le festival, au seul mois d’août, couper dans le nombre des représentations (dont a été victime entre autres André Jung, pour Das Bergwerk zu Falun), 110 au lieu de 222, dans celui des places, 76 000 au lieu de 240 000. Avec des tickets nominatifs, obligation de masques, et ni entracte ni buffet, distanciation sociale oblige. Fini donc (ou du moins mis entre parenthèses) le côté mondain.
Et dans ce sens, un peu retour en arrière. Peut-être à l’époque des fondateurs du festival. Reinhardt à part, c’est à Strauss et Hofmannsthal qu’on s’accroche cette année, et Mozart bien sûr, le bon génie du lieu. Pour un peu, telle prophétie, telle utopie se serait réalisée, de Josef von Neupauer, faisant voyager deux Persans, pardon, Américains, dans l’Autriche de 2020 justement, mais le texte date de 1893. Salzbourg, lors de leur visite, une petite ville, de 1 500 habitants, hébergeant pourtant jusqu’au double d’étrangers. « Die beurlaubten Bürger, welche ihren Urlaub zu einer Reise benützen, halten sich meist einige Tage in diesen Städten auf, um einigen Theatervostellungen beizuwohnen und die Merkwürdigkeiten zu besehen. » Il s’y trouve même « eine Operngesellschaft..., welche mehrere berühmte Sänger und Sängerinnen zählte ». Pour le reste, joli paradoxe, l’empereur est toujours habsbourgeois, mais à la tête d’une société sans classes, carrément communiste.
Pas question toutefois d’un véritable festival, de bâtiments construits à cet effet. Si la Landesausstellung, au Salzburg Museum, retrace ces jours-ci les cent années du festival, Grosses Welttheater, ailleurs, de Hellbrunn au Mönchsberg, Kapuzinerberg et Mirabellgarten, des artistes contemporains interviennent pour proposer une sorte de commentaire plastique à quatre projets non réalisés de Festspielhaus, Der Traum von einem Feentempel. Max Reinhardt l’avait vu d’abord à l’extérieur de la ville, « abseits vom städtischen Alltagsgetriebe » ; le projet de l’architecte Hans Poelzig, marqué aujourd’hui dans ses dimensions par des pieux, dans le parc de Hellbrunn, jusque dans le zoo, avait fière allure, futuriste, mais l’argent a manqué, et une autre idée allait l’emporter, intra muros, changeant Salzbourg même en scène de théâtre.