Les petits incidents qui gâchent les loisirs sont mis au carré par André Wendland à la Valerius Gallery

En rire ?

d'Lëtzebuerger Land du 18.10.2024

Arschbombe est à voir jusqu’à ce samedi 19 octobre à la Valerius Gallery

C’est le dernier week-end pour aller voir Arschbombe ou comment des petites choses nous gâchent la vie. Comme ça, des incidents de rien du tout, sans gravité, mais qui confirment la « loi de Murphy » qui veut que tout ce qui pourrait mal se passer se passe mal.

C’est comme la fois où on venait de s’installer au bord de la piscine et voilà, plouf ! En voilà un qui prend son élan, saute genoux au menton, le corps ramassé en boule et les pieds bien à plat pour faire encore plus exploser la surface de l’eau. La crème à bronzer soigneusement étalée coule dans nos yeux, les gouttes qui nous éclaboussent sont glacées, la serviette de bain est trempée. L’expression allemande est figurative : Arschbombe et c’est le titre de l’exposition d’André Wendland.

Plouf, splatch… Il n’y a pas sur les tableaux de bulles comme dans les œuvres de l’artiste pop américain Roy Lichtenstein, inspiré par les bandes dessinées : Mickey, les pilotes de guerre (c’était la guerre au Vietnam), les filles langoureuses des pavillons de banlieue qui rêvaient de la cuisine parfaite pour l’homme parfait. Wouahh, whaam. Les titres des tableaux non plus ne sont pas des onomatopées. Celui dont on parle, peint par André Wendland, s’appelle Cliff Cannonball. Cet homme bombe a illustré le dossier du Monde Diplomatique du mois de mai 2024 consacré aux Jeux olympiques de Paris. Sur la page suivante, une haltérophile soulève un poids aux dimensions du cadre de la peinture. Plus loin, deux jumeaux sont entortillés sur une balle rebondissante et semblent repousser les bords du tableau…

C’est une des habiletés de la peinture d’André Wendland : les personnages de Cliff Cannonball et Calvin Cannonball, exposés chez Valerius, sont à la taille du tableau ou, dit autrement, le tableau est à la dimension des corps en boule qui font splatch. André Wendland a 29 ans, mais ses plaisantins n’ont pas d’âge. C’est le corps ramassé du personnage qui exprime la scène et les couleurs à l’huile qu’on comparera, pour en faire imaginer la texture, à celles d’un street artist qui étale aux doigts les craies grasses aux couleurs criardes sur un trottoir.

On est dans le domaine de l’art de la rue, nous dirions, embourgeoisé ! Ainsi de la plus grande toile de l’exposition. Wendland en a aux loisirs gâchés : prendre l’apéritif au jardin et voilà le voisin qui commence à tailler sa haie. Le titre du tableau de 270 x 200 cm est à double entrée : Cutting (H)edge, la haie coupée et le coin découpé tout en haut à gauche où apparaît le gâcheur d’apéro. On rit. Mais le sujet de la toile, c’est bien la haie qui occupe tout l’espace de la toile ou presque. L’esprit cartoon du tableau est quasiment anecdotique.

Dans le diptyque Under Pressure, le sujet, c’est le tuyau d’arrosage enroulé sur lui-même dans une toile carrée qui va, on croit le voir pour de vrai, sortir violemment du cadre du tableau telle la queue du Marsupilami de Franquin et arroser l’arroseur quand celui-ci va ouvrir le robinet d’eau sur la première case de l’histoire. Un petit tableau de 70 x 50 cm qui est aussi la première partie de ce diptyque où se fane une tulipe. On peut aussi penser à David Hockney et ses histoires d’eau. André Wendland a une capacité aussi diabolique que le maître anglais à réussir à différencier les parties du corps hors de l’eau et celles dans l’eau.

Danger Zone, celle à partir d’où on n’a plus pied. Presqu’un jeu de mots, avec la main, qui longe le bord du tableau et prend la couleur opale de l’eau. Last day summer, la peau blanche sous la bretelle du maillot et bloub, bloub, bloub, les pets discrets de la baigneuse qui remontent à la surface le long de son dos… André Wendland peint sérieusement des choses pas sérieuses. Car sérieusement : Bodo breaststroke fascine, tellement, dans un carré parfait (90 x 90 cm), l’observation du nageur est juste. D’abord, les mains à l’avant aux doigts joints, puis les joues gonflées qui vont expulser l’air. Au-dessus, dans le même plan, la partie immergée du nez et des oreilles et enfin, en haut du tableau et légèrement en arrière, tel qu’est réellement la morphologie d’un visage et d’un crâne, les lunettes de nage et le front au ras de l’eau.

Les rondeurs de ses personnages font de ce jeune allemand tout juste sorti de l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe une sorte de Botero de la génération Z.

Marianne Brausch
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