Il faut monter aux derniers étages de la Konschthal Esch, nous déplacer à notre tour, pour découvrir les paysages et créatures de Vera Kox, déployés avec les meilleurs effets dans les espaces qui leur offrent une belle générosité. On les découvre, on en est surpris, on est immédiatement pris, saisis d’un fort sentiment. Pour beaucoup de visiteurs, la surprise tient sans doute au matériau qui a la part majeure dans l’exposition, et il est vrai que la céramique, les objets en argile cuite ne sont pas si habituels dans les musées ou institutions d’art contemporain. Qu’on se rappelle quand même Lucio Fontana par exemple, ses sculptures inspirées de formes naturelles et plus loin, ses Concetti spaziali. La céramique a déjà a eu ses lettres de noblesse comme moyen d’expression artistique, et il serait sot de négliger la beauté atteinte si souvent dans les formes réduites de la poterie.
Non, la surprise est autre, et d’autant plus prenante, plus saisissante. Ces espaces, non seulement ont accueilli magnanimement sculptures et installations, ils en ont été transformés, transfigurés. Et si dans un deuxième temps on s’attachera aux pièces prises séparément, une première impression embrasse l’ensemble. De même qu’on fait avec un paysage, où l’on ira après vers les différentes particularités. Les paysages de Vera Kox, ils sont structurés de poutres d’acier, n’oublions pas la cité sidérurgique, sur lesquelles (se) sont posés des êtres-objets, des créatures, dit l’artiste, en céramique. Et dans telle partie d’une salle, dans son étendue, le sol est fait d’eau et d’argile, support ou terrain qui va changer avec le temps, se fissurer.
Tels paysages, où les situer, dans un passé lointain, dans un avenir du post-anthropocène, ou alors ira-t-on à les rapprocher de ceux du surréaliste Yves Tanguy, avec leur indécision poétique, et ce fort attrait qui a fait évoquer à André Breton « un horizon nouveau, celui sur lequel va s’ordonner en profondeur le paysage non plus physique mais mental ». Ailleurs, délaissant les vastitudes, les infinitudes, des sculptures apparaissent tels des repères, des balises, ou penchera-t-on plutôt vers d’énigmatiques totems.
Le visiteur, à un autre endroit, se frayera son chemin entre des porte-vêtements, du moins cela s’y apparente, et y sont intégrés, en pendent des céramiques, avec en opposition du dur et du mou, des plis et replis, de ce qui peut être bougé et reste définitivement figé. Des morceaux d’étoffe, mais on peut aller plus loin, des morceaux de chair, et le regard alors se porte au sol, pour y voir peut-être des traces de liquide, de sang… Non, la céramique n’a pas cette couleur-là, pas de bœuf écorché, de Rembrandt ou de Soutine, pas de quartier de viande, de Bacon. Mais c’est bon signe pour l’art de susciter pareils rapprochements.
Dans l’exposition, des vidéos nous confrontent dans les pas de l’artiste à des milieux naturels extrêmes, de l’Éthiopie au Spitzberg, à ce qu’il en est advenu, ou adviendra. Si des disques en céramique agencés en demi-cercle (tantôt orienté vers le haut tantôt vers le bas) sont comme des signes de ponctuation, et rassemblent de la sorte les étapes de notre parcours, font un tout de l’exposition, son unité, le visiteur, toutefois, en restera heureusement à une interrogation faite d’inquiétude, voire de désolation.
Vera Kox a donné à l’exposition de la Konschthal Esch (jusqu’au 19 janvier) le titre de Sentient Soil, nous invite donc à considérer (à saisir) la terre comme un organisme cohérent et vivant. Ce qui pour ma part amène telle conclusion : voilà une démarche au plus haut degré esthétique. Ce mot est attaché la plupart du temps à l’idée de beauté, et l’on en oublie l’étymologie. Du grec aistasis, il a pour objet en premier les sens, les perceptions, avant de se rapporter au concept de l’art. Eh bien, si Vera Kox comble notre attente de beauté, elle commence par nous faire sentir, ressentir, et nos yeux touchent à défaut de nos doigts ; et Sentient Soil est là pour nous faire comprendre que l’homme est lié, inéluctablement, à la nature, pour nous faire réfléchir au désordre planétaire qu’il est peut-être, d’autres diront sans doute, en train de causer.