Deux rumeurs persistantes accompagnent les discussions actuelles sur l’augmentation des dotations financières des groupes parlementaires, des campagnes électorales et des partis politiques respectivement. La première dit que le CSV aurait couplé son assentiment à une quelconque réforme de la Constitution à une augmentation substantielle de ces sommes. « Faux ! » répond sans hésiter Alex Bodry (LSAP), le président de la commission parlementaire des Institutions et de la Révision constitutionnelle. « Je ne sais pas d’où sort cette rumeur, il n’en a jamais été question. »
La deuxième rumeur insinue que le CSV serait entre autres en manque urgent de liquidités. Son insistance pour que soit revue à la hausse la participation financière de l’État au financement du parti serait due au fait que son président Frank Engel voudrait faire de son mandat un métier à plein temps. « Faux ! », rétorque aussi Léon Gloden, le représentant du CSV dans ladite commission et un de ses vice-présidents. « Nous n’avons pas du tout parlé de cela à la commission. Il s’agit de décisions internes des partis. » Toujours est-il que, lors des discussions, les procès-verbaux de la commission en témoignent, Gloden est intervenu pour demander une augmentation supérieure à celle proposée par Alex Bodry des dotations financières des partis.
En début de ce mois de novembre, le Parlement a lancé en parallèle deux procédures parlementaires : D’abord, Djuna Bernard (Déi Gréng), la vice-présidente de la Chambre, a envoyé une dépêche au président du Conseil d’État avec un amendement parlementaire au projet de budget d’État pour l’année 2020. Cet amendement fait part de la décision du bureau de ladite Chambre d’augmenter substantiellement l’indemnité de secrétariat des députés, de presque 3 800 euros à 6 496 euros par élu. Ceci selon l’accord de coalition DP/LSAP/Déi Gréng, qui promet « une augmentation des moyens en personnel des groupes politiques ». Cette somme ne représente pas le traitement mensuel brut du député lui-même, qui reste le même (6 600 euros), mais le budget disponible par député pour engager du personnel parlementaire. Elle correspond au salaire d’entrée d’un universitaire dans la fonction publique (A1).
« Le patron de ces personnels est le groupe parlementaire », souligne Alex Bodry. Actuellement, la majorité des groupes et sensibilités politiques mettent en commun cette dotation financière afin de constituer un secrétariat parlementaire. Ainsi, le LSAP, dix sièges au parlement, a actuellement un secrétariat parlementaire de neuf personnes – deux secrétaires, un informaticien et six attachés parlementaires, qui sont en règle générale des universitaires. « Une augmentation de ces moyens nous permettra de renforcer les groupes parlementaires », insiste Alex Bodry, qui se prononce contre le modèle pratiqué par exemple au Parlement européen, où chaque député dispose de son ou de ses propres attachés, « cela ferait des députés des combattants solitaires ».
À quelques centaines de mètres de distance des sièges des groupes parlementaires du LSAP et du CSV, Jeff Feller, secrétaire parlementaire du DP, se réjouit déjà de la possibilité d’augmenter ses équipes. Avec douze sièges au Parlement, le DP occupe actuellement onze personnes dans sa fraction. « Nous sommes une équipe très jeune [les anciens ont entretemps tous rejoint les administrations des ministres libéraux à des postes de décision, ndlr.], dont les membres ne sont pas encore à des salaires élevés. Mais l’augmentation de la dotation nous permettra de recruter davantage », explique Feller, qui veut aussi rester sur le modèle du pool de collaborateurs pour toute la fraction. Deux appels à candidatures ont déjà été lancés, en prévision du vote du budget d’ici décembre. Le recrutement (un juriste et un économiste) se fait pour début janvier 2020. Pour Jeff Feller, il est temps que les attachés parlementaires, qui sont actuellement tous des généralistes – comme leurs députés – et couvrent un champ thématique extrêmement vaste, puissent à terme se spécialiser. Son but : que le premier pouvoir, le législateur, soit aussi indépendant que possible du deuxième pouvoir, l’exécutif.
« Quand j’ai commencé en tant que député, se souvient Léon Gloden, CSV [c’était en 2009, ndlr.], et que nous recevions un ministre dans une séance de la commission parlementaire, il venait souvent seul, ou avec son plus proche conseiller. Désormais, les ministres débarquent avec toute une armada de collaborateurs. Parfois, ils sont si nombreux qu’il n’y a presque plus de place pour les membres de la commission ». Un déséquilibre auquel il faudrait parer en permettant aux députés d’avoir plus de conseillers eux aussi. Contrairement au DP, qui peut avoir recours aux compétences des administrations gouvernementales pour s’enquérir sur un dossier thématique ou un projet de loi, le CSV. aujourd’hui dans l’opposition, doit s’approprier des compétences et savoirs que le parti laissa jadis souvent aux ministères, qui fournissaient le cadre théorique et souvent aussi factuel et statistique pour préparer une décision. Le CSV, 21 sièges, occupe actuellement treize personnes dans son secrétariat parlementaire, plus cinq personnes au secrétariat du parti – qui s’occupent des plus de 10 000 membres affichés. « Nous considérons les partis comme des ‘créateurs d’idées’, comme disait cette campagne du constructeur automobile Renault, explique dans un sourire Léon Gloden, donc il faut leur donner les moyens pour développer de telles idées et s’approprier du know-how sur différents thèmes ».
C’est pour cela que les partis sont eux aussi en demande d’une augmentation de leurs moyens budgétaires. Car depuis la loi de 2007 sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales, il y a eu plusieurs tranches indiciaires et des évolutions des pratiques de campagne. Alex Bodry a donc lancé un deuxième chantier (avant de quitter le Marché-aux-herbes pour le Conseil d’État en fin d’année), en proposant une réforme de cette loi. Là où il proposa initialement à la commission une augmentation d’une vingtaine de pour cent du montant global attribué par parti (en fonction de ses résultats électoraux), le consensus s’établirait actuellement et suite notamment à la pression du CSV, à entre 25 et trente pour cent d’augmentation des montants. Les deux scrutins, national et européen, seraient alors considérés séparément pour établir le bénéfice du financement public. Et les partis se verraient enfin attribuer une personnalité propre, sui generis.
« À cela s’ajoutent un certain nombre d’observations empiriques que nous avons tous pu faire durant la dernière campagne électorale de 2018 », constate Bodry, et dont il faudrait inclure le contrôle dans une modification de la loi de 2007 : qu’en est-il par exemple de l’éligibilité au remboursement des frais de campagne des listes jointes de deux partis (les Pirates et le PID) ou entre un parti et une asbl (par exemple l’ADR avec Wee2050) ? Comment comptabiliser les campagnes personnelles de candidats individuels (Daniel Frères, Pirates, notamment) ? « S’il s’agit vraiment d’ériger la ‘causa Frères’ en mauvais exemple, réagit Sven Clement, député des Pirates, je tiens à signaler que les dépenses qu’il a réalisées en son nom personnel se retrouvent toutes, et intégralement, dans nos comptes. Tout comme on y retrouve toutes les factures des campagnes personnelles que nos candidats ont pu faire sur Facebook. » Mais, et de cela, Clement est persuadé, « il y a un problème général que les partis n’ont plus vraiment le contrôle sur ce que font leurs candidats, donc ils veulent avoir une loi comme instrument pour reprendre le dessus. » Alex Bodry a consulté tous les partis sur les neuf points sur lesquels il voit une nécessité d’agir et a promis de finaliser une proposition de loi avant son départ.
La Cour des comptes serait alors chargée du contrôle des finances non seulement des partis, comme maintenant, mais également des groupes parlementaires. Elle est en train de travailler sur les comptes de 2018, année électorale, donc avec des dépenses substantielles (le CSV a par exemple déclaré plus de 704 000 euros de frais de campagne). « De prime abord, la Cour note qu’en matière de communication politique sur les réseaux sociaux, elle ne peut traiter et contrôler que les informations qu’elle reçoit des partis », écrivait-elle déjà en 2017, invitant à une réflexion plus large dans le cadre d’une réforme de la loi.
Cette année, la Chambre des députés reçoit une dotation étatique de 42,6 millions d’euros – 1,6 million de plus que ce qui est prévu pour le Film Fund en 2020.