Le livre et sa relation à l’image au Casino Luxembourg et les fleurs de l’IA à Clervaux. Deux interprétations aux antipodes

Lectures de la photographie

d'Lëtzebuerger Land vom 22.08.2025

C’est l’une des 26 expositions du Mois européen de la photographie (EMoP). TUBE.PHOTO.DASH au rez-de-chaussée du Casino Luxembourg clôt la série d’articles sur cette dixième édition.

L’exposition occupe une place particulière, au sens réel du terme, car elle plonge le visiteur entre les deux manière de les plus courantes de voir des photographiques : regardées debout, accrochées à la verticale aux cimaises d’une galerie ou d’un musée ou posée sà l’horizontale, à tourner les pages d’une publication, assis sur une chaise à une table ou installé dans un fauteuil, sur ses genoux. Cela peut être un catalogue qui reprend les photographies d’une exposition ou une publication en tant que telle.

C’est le cas des photographies de Christian Aschman. The space in Between, 2015/2025, l’exemple le plus littéral de « l’entre-deux » parmi les dix démonstrations, qui partant du livre de photographies, fait de TUBE.PHOTO.DASH autant de formes d’installations nouvelles. Aschman a photographié à Tokyo les espaces résiduels, les entrechoquements de matériaux, des formes sans logique apparente d’assemblage, dans une ville d’une compacité extrême. Le fait d’avoir collé les photographies de l’ouvrage en grand format sur les vitres de l’aquarium du Casino, lui donne sa dimension d’exposition photographique verticale et crée un entre-deux nouveau avec la skyline très allongée et peu dense de la vue extérieure sur Luxembourg.

Les tirages photographiques sur film transparent sont à l’opposé de la publication, où les prises de vues occupent les pages bord à bord, ne laissant pas de temps de respiration, tandis que la vue de Luxembourg est aérée par nature. L’ouvrage est paru chez Théophile’s Papers. Théophile Calot en a été le maître d’œuvre en 2015. Il est le commissaire de l’exposition TUBE.PHOTO.DASH et dirige la maison d’édition delpire & co à Paris.

À l’époque des technologies qui dématérialisent le rapport à l’image et à la lecture, il faut évoquer la continuation avec Robert Delpire (1926-2017), qui publia des grands noms comme Brassaï, Cartier-Bresson, Doisneau, Koudelka, dans des livres cultes de la maison d’édition qu’il créa à son nom, dans le Saint-Germain-des-Prés des années d’après-guerre. Théophile Calot perpétue aussi les expositions à la galerie de la rue de l’Abbaye, une initiative quasi unique à l’époque de Robert Delpire. Au passage, on peut rendre hommage à Agathe Gaillard (1936-2025) qui vient de disparaître. Elle avait ouvert la première galerie uniquement consacrée à la photographie en 1975.

On terminera l’évocation de l’héritage impressionnant de « montreur d’images » de delpire & co, par l’évocation des petits livres à la couverture noire, où beaucoup de lecteurs ont fait leurs classes photographiques. C’est Robert Delpire qui créa cette mythique collection à petit prix, « Photo Poche », dans les années 1980. Mais l’exposition au Casino n’est pas seulement basée sur les publications de delpire & co. On y trouve aussi des ouvrages parus chez le grand éditeur Walther König, dont l’iconique Concorde de Wolfgang Tillmans en 1997. L’édition de 2025, un objet d’exposition en soi, est la troisième parution (tirage C-print numérotée 9/10 et 1 E.A., prêt galerie David Fleiss, Paris).

TUBE.PHOTO.DASH, repense la photographie sans photographies, comme l’ANT!Foto Manifesto de Katia Stuke et Olivier Sieber, avec des textes sur toutes ces formes présentées dans l’exposition : « numérique ou analogue, en couleur ou en noir et blanc, original ou copie, diapositive ou installation ; elle est magazine, journal, livre, et bien plus encore. » C’est, côté entrée rue Notre-Dame, une grande affiche à emporter pour la plus large diffusion possible. On l’aura compris, TUBE.PHOTO.DASH a ceci de particulier de jeter un pont entre le présent, créé pour l’exposition et ce qui, comme dans ce cas particulier, a fait l’événement en 2013 : la publication d’un magazine papier journal rassemblant des définitions de la photographie par des critiques d’art, des écrivains, des journalistes, des photographes.

Pour cette lecture horizontale uniquement, on s’assiéra sur le tabouret dont l’assise sert aussi de cartel… Une fois qu’on a compris le principe du tabouret-cartel et que l’on feuillette la publication des dix possibilités proposées, on comprend le concept de Théophile Calot « avoir permis d’instaurer une relation possible à l’image depuis le livre, depuis l’exposition, et peut-être mieux encore, depuis les relations entre édition et exposition. » C’est le mode d’emploi de TUBE.PHOTO.DASH, tel que le décrit Fabien Vallos (philosophe et coordinateur de recherche à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles et à l’École supérieure d’Art d’Angers) dans «L’image comme dispositif théorique », le texte d’introduction de la publication éditée par le Casino Luxembourg à l’occasion de l’exposition.

Faute de pouvoir faire un résumé de chacune des expériences proposées, on citera ici la plus physique, celle du corps entier sollicité à l’horizontale par la lecture, mais ici, pour la vision. Partant du mode d’emploi de la SUPER CHAIR (1967) du designer américain Ken Isaacs dans le manuel d’autoréalisation How to build Your Own Living Structures, Pierre Hourquet a assemblé un mobilier de lecture où s’allonger et contempler la projection au plafond d’une vidéo avec la course des nuages et des souvenirs de lecture de l’auteur. Un déclencheur de ses propres « films en rêve » et de souvenirs d’ombres fantasques dans sa chambre d’enfant, inventées avec ses doigts…

La Projection Carroussel d’une série de 80 diapositives 7 x 11 cm d’Aurélien Mole, « métamorphose de l’image en fonction de son mode de diffusion », pour citer encore Fabien Vallos. On ajoutera l’effet « madeleine de Proust sonore » du cliquetis du matériel de projection utilisé. Aux lithographies de l’Album Pittoresque du Grand-Duché de Luxembourg par J.-B. Fresez, publié par la librairie V. Hoffman, libraire, en 1857 et dédié à S. A. R. le Prince Henri des Pays-Bas au Lieutenant-Représentant de S.M. le Roi Grand-Duc dans le Grand-Duché de Luxembourg. », Aurélien Molle a superposé aux lithographies du peintre Fresez (1880-1867) ses vues sur papier du Casino et des arbres de la Pétrusse proche. Elles sont projetées au mur, indépendamment de l’autopublication Gold Grows on Trees créée pour l’exposition.

Avec Floral Fiction, l’exposition de la série Still Life 3000 de Claudia Larcher et l’utilisation de l’IA, on est aux antipodes. Sandra Schwender, commissaire de l’exposition, a invité Claudia Larcher, cinéaste et chercheuse en intelligence artificielle, à montrer ses natures mortes qui font écho aux bouquets de Rachel Ruysch, peintre au Siècle d’or néerlandais. L’aspect plastique ou métallique des fleurs est bluffant, un emoji remplace la Vanité des vieux maîtres, une abeille mécanique butine… Avec une application de réalité augmentée, le visiteur est invité sur son smartphone à retrouver les originaux de la peintre du 17e siècle.

Est-ce là encore de la photographie ? Le travail de l’artiste avec l’IA produit une image sans la photographie. Voilà encore une question posée dans Rethinking Photography.

Marianne Brausch
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