Interrogations photographiques au pied du château de Clervaux sur l’impact des actions humaines

Naturel ou artificiel

Les pigeons de  Luisa Maria Stagno dans  le jardin  du Brahaus
Foto: Laurent Strum
d'Lëtzebuerger Land vom 08.08.2025

La saison 2024-2025 du parcours de photographies dans l’espace public au pied du Château de Clervaux est exposée jusqu’à la mi-septembre avant l’ouverture de la troisième saison sous la direction de Sandra Schwender, gestionnaire de la Cité de l’Image pour Clervaux, manifestation devenue autonome par rapport Centre national de l’audiovisuel (CNA) (d’Land du 20.10.2023). Rien n’empêche évidemment de combiner la visite de l’exposition en plein air et la Family of Man, le leg d’Edward Steichen à son pays natal, toujours géré par le CNA.

L’exposition d’une cinquantaine de photographies de la Cité de l’Image, permettent avant, mais surtout après la visite au château, de prendre la mesure du gouffre qui sépare l’espoir humaniste d’il y a 70 ans de la pente vertigineuse que dévale actuellement la planète et son avenir dans sa globalité : des zones de guerre armées et des protectionnismes économiques aux écosystèmes menacés, voire disparus, à l’avenir de l’être humain compris.

On commencera ce tour de ronde, par les deux « stations » extrêmes du parcours de l’ensemble. Fallait-il l’intituler Novum Aspectum – un nouvel espace d’exposition est désormais situé dès l‘arrivée des voyageurs par le train et en face de la gare ? Alter Aspectum aurait peut-être mieux rendu compte que toute situation documentée a, quoi qu’il en soit des aspects porteurs d’espoir. À commencer par la jeune photographe franco- luxembourgeoise Samantha Wilvert, 25 ans seulement. Son appareil Mamyya RB67 « au viseur à poitrine », raconte-t-elle, lui a permis de se positionne à hauteur d’un enfant, voire de se mettre elle-même dans la situation de cette hauteur de regard.

Dans Les Enfants de Le Corbusier, elle document le mode de vie des enfants dans la Cité Radieuse de Le Corbusier à Briey. Comment ne pas penser, avec la revalorisation de cet ensemble urbain construit en 1959-60 dans le bassin minier lorrain, que l’offre ludique et éducative de la cité HLM, elle aussi est revalorisée, alors que cet ovni ultra-urbain en béton peut sembler incongru dans le paysage champêtre qui l’entoure. Le sentiment d’amour pour le lieu par Samantha Wilvert est palpable, dans ce lieu d’exposition qu’est le Jardin de Lélise, toujours le plus ingrat du parcours.

Arrivant à Clervaux par le train, la première et nouvelle « introduction » du parcours, la Station de la gare, donne elle à voir des images du tour que Letizia Romanini a réalisé en suivant les frontières du Grand-Duché en 2021. On ressent certes cette « solastalgie » (nostalgie pour un environnement passé et inchangé), à travers la beauté des images dont le format paysage ou portrait est raccord avec les rangées régulières de silice du mur de soutènement. Mais trop d’esthétique tue le propos – Letizia Romanini dans sa tournée, avait aussi vu les lieux à l’abandon, les déchets à la dérive dans les rivières et accrochés aux arbres par les crues dévastatrices quand les rivières sont à sec.

La vision des hauteurs boisées tout autour entretiennent le mythe. Comme le contraste entre la forêt ardennaise au Jardin du Château et les photos de Raoul Ries. Le photographe, basé à Londres et Luxembourg, qui travaille d’habitude sur le désir de l’homme de façonner l’environnement, a vu, en 2023, ce que l’on pourrait appeler son ennemi absolu : la sécheresse extrême dans les Pyrénées orientales. Attention danger !, tel est l’alerte que diffuse la lumière blanche, aveuglante avec Còrrec Sec.

Luisa Maria Stagno, elle, cherche à réhabiliter par sa seule beauté dans la montée du château le pigeon, ce « rat volant ». La série a demandé deux années de travail pour la posture identique et la dimension égale des portraits de ces Coupables ? sans doute, depuis que le pigeon n’a plus d’utilité pour l’homme. Mais où mieux, que dans le jardin du Brahaus, se souvenir de leur rôle de messager, notamment de hauteur en hauteur des châtelains des Ardennes?

Novum Aspectum est une exposition plus complexe qu’il n’y paraît. Il aurait peut-être été profitable de changer l’emplacement de certaines « stations » difficiles à trouver, sans le plan d’orientation nouvellement installé. Place du Marché, invariablement à même la pierre, donc en lutte avec la puissance de la butte rocheuse et la végétation sauvage, les photos de Steven Cruz, luxembourgeois d’origine portugaise, documente la précarité – intérieurs, objets, immeuble sans grâce – d’une population enracinée dans le quartier du bairro da Curralea et chassée par la gentrification.

L’histoire, documentée par la française Émilie Vialet des zoos européens dans la Montée de l’Église, fait partie de sa recherche générale sur l’impact des constructions humaines sur la nature. Elle l’est ici à double titre : celui des cages où, en Occident, à visée de divertissement et pédagogique, étaient et sont encore montrés au public des animaux dits « sauvages ». Pour sa série The Eternal, Émilie Vialet a photographié ces enclos vides d’occupants de telle manière qu’il est impossible de ne pas voir le côté factice du béton simulant la banquise, des grottes, un bassin végétalisé.

De nature, il est également question dans le travail de Jörg Auzinger. Mais il l’entraîne dans un « autre monde » en superposant deux univers contraires. La manipulation par l’artifice photographique suggère néanmoins un réel possible : ainsi de livres échoués sur une plage, comme s’ils s’étaient déversés d’un cargo transportant des biens culturels, d’un pique-nique avec vue sur la skyline sans âme d’une ville nouvelle quelconque. Et c’est une bâche de chantier déchirée par le vent, qui s’ouvre sur un paysage de montage. Comme un lever de rideau au théâtre.

Novum Aspectum, Jörg Auzinger, Steven Cruz, Raoul Ries, Letizia Romanini, Luisa Maria Stagno, Emilie Vialet, Samantha Wilvert, Cité de l’Image à Clervaux, est à voir jusqu’au 15 septembre

aMarianne Brausch
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