Duo d’artistes pour duo de destins

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2024

Les premières représentations de Norma Jeane Baker de Troie se jouent très prochainement au Opderschmelz de Dudelange. Entre deux moments de répétitions, nous avons parlé à Pauline Collet et Pascale Noé Adam, respectivement la metteuse en scène et celle qui tient le monologue qu’est cet étonnant spectacle.

Pauline Collet et Pascale Noé Adam se sont rencontrées en 2017 avec que la première auditionne devant la seconde pour la création de Roulez Jeunesse de Luc Tartar. Les deux femmes et artistes ont un « flash artistique » l’une pour l’autre : « Avec ma sœur (Nathalie Noé Adam, ndlr), on l’a vu arrivée et on s’est dit qu’elle était géniale. Depuis, on se croise, et on se recroise, on va voir le travail de l’une et de l’autre, une amitié est née ».

Aujourd’hui, duo complice de cette création, l’association des patronymes que sont Collet & Noé Adam s’entend comme une évidence face à ce spectacle impliquant deux figures iconiques des mythologies antique et moderne : Norma Jeane Baker, Marilyn Monroe à l’écran, et Hélène de Troie, fille de Zeus et de Léda. Séduite par le texte Norma Jeane Baker de Troie d’Anne Carson, Pascale Noé Adam se met en tête de monter la pièce et surtout d’y tenir le rôle-titre. Elle demande à Pauline Collet de l’accompagner et de la mettre en scène. « Pour moi il n’y avait que Pauline qui pouvait me mettre en scène. Il faut un rapport de confiance immense entre metteuse en scène et comédienne. Une personne qui sait faire de la direction d’acteur, ce qui ne court pas les rues », explique la comédienne. La metteuse en scène réplique : « Elle m’a approchée il y a un an avec ce texte particulier. Un challenge que j’avais envie de relever avec elle ».

Autrice et professeure de grec ancien, Anne Carson établit dans Norma Jean Baker de Troie, un parallèle entre Hélène de Troie et Marilyn Monroe. En s’appuyant sur la tragédie d’Euripide, où Pâris enlève un nuage à l’apparence d’Hélène, tandis que la vraie Hélène est cachée en Égypte, l’autrice joue avec les mythes, revisitant l’histoire d’Hélène au travers de l’univers d’Hollywood. Proche de la poésie brute, Anne Carson interroge la guerre, ses illusions, et la place des femmes. « Il s’agit de savoir à quel moment tu choisis de devenir guerrière ou d’être victime, et c’est à toi de maîtriser l’axe de la caméra, si tu es devant ou derrière et dans quelle direction tu vas », expliquent les deux artistes. Plus brièvement, le texte parle de la chute d’un système, « quelque chose qui ne peut plus tenir debout », comme le souligne encore Pauline Collet. Norma Jean Baker de Troie, c’est l’histoire de toutes les femmes, mais aussi de tous les hommes, finissent-elles par dire. « C’est l’histoire d’un système dont les hommes, comme les femmes sont victimes. »

Alors, depuis le premier jour de travail sur cette création, elles entretiennent une relation duale. Chacune d’elle, comédienne et metteuse en scène, ont à l’esprit une méthode loin des diktats du théâtre d’avant. « Il y a beaucoup de bienveillance dans notre relation artistique », lance Collet. Et Noé Adam de répondre, « au début de ma carrière, j’ai souffert avec des metteurs en scène qui pense que c’est en brisant un comédien qu’on arrive à le faire exulter », et Collet qui ajoute, « on peut être exigeant, précis et avoir une attitude positive », et Noé Adam de la rejoindre, « On travaille très en confiance, ce qui ne veut pas dire que Pauline me laisse respirer. Mais ce travail ne se fait pas dans la douleur ».

Et puis, le texte n’a jamais été monté, formellement, semble-t-il, « si ce n’est une version de Katie Mitchell sous forme de performance et une lecture dans le sud de la France à Marseille… » Elles sont, en tout cas, les premières, d’ici à Paris, à monter ce texte étonnant et singulier. Facteur d’autant plus motivant que Pascale Noé Adam était longtemps loin de la scène, et dans quel rôle s’il vous plaît. Pauline Collet ajoute aussi une nouvelle aventure à sa carte de visite luxembourgeoise, elle qui occupe cette saison de nombreuses scènes dans le pays.

Pascal Noé Adam voulait, enfin, trouver un rôle qui l’anime profondément, un rôle qu’elle trouve aussi dans sa dualité de personnages, comme un fameux hasard objectif. « J’ai 44 ans et une petite carrière d’artiste derrière moi. Pourtant, quand je revois mon parcours, je me dis que je n’ai jamais eu des ‘beaux’ rôle à jouer. En tant que femme, ces rôles sont rares, et c’est souvent l’acteur qui brille. Aujourd’hui, la balance s’équilibre avec de plus en plus de textes d’autrices montés. Et c’est aussi la volonté ici : trouver un rôle de femme et faire entendre des femmes ».

Passées par la Kulturfabrik à Esch-sur-Alzette, Neimënster à Luxembourg, l’Espace Bernard Marie Koltès de Metz, jusqu’au Gewerkschaftsraum de Dudelange, elles présenteront enfin, après une année de création, leur Norma Jeane Baker de Troie à elles, avec à l’esprit, l’idée d’une pièce où deux femmes idolâtrées règnent en maîtresses d’elles-mêmes et du monde dans lequel elles vivent… Un peu comme elles deux, l’une au plateau, l’autre derrière le mur invisible, unies à l’ouvrage d’une pièce non pas « féministe » mais « de femmes ».

Norma Jeane Baker de Troie, les 7 et 8 octobre
au Opderschmelz à Dudelange, puis à partir
du 21 novembre au Théâtre du Centaure

Godefroy Gordet
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