Avortement

« Si je veux »

d'Lëtzebuerger Land vom 15.01.2009

Pourvu que cela ne s’ébruite pas trop. La crise économique et financière, la demande de référendum sur les pouvoirs du monarque, l’application des lois sur les soins palliatifs ou l’euthanasie et les relations internationales sont bien assez de dossiers chauds à traiter pour cette majorité jusqu’au 7 juin. Alors, la coalition n’a pas besoin d’une nouvelle pomme de discorde en matière de politique sociétale, en pleine campagne électorale, où, de toute façon, l’ambiance s’envenime et chacun des partenaires essaie à nouveau de se démarquer. 

Or, la députée socialiste Lydie Err, déjà, avec Jean Huss (Déi Gréng), à l’origine de la proposition de loi sur l’euthanasie, a encore déposé deux propositions de réforme touchant les droits des femmes : sur la prostitution en mars 2008 (avec Marc Angel, Claudia Dall’Agnol et John Castegna­ro) et sur l’avortement en mars 2007 (d’Land du 9 mars 2007). « Mes propositions de loi ne sont jamais commodes, estime l’auteure, juriste et féministe. Comme pour l’euthanasie, l’accord de coalition ne fait pas mention d’une réforme de l’avortement. J’étais donc consciente que cette co­alition n’allait pas y toucher. À moins qu’il y ait de la pression venue de l’extérieur... »

De la pression pour une libéralisation de la loi de 1978 pourtant, il y en a. Elle est internationale d’abord, avec le Cedaw (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) des Nations Unies, qui, dès 1997, dans un de ses rapports sur le grand-duché « s’est déclaré vivement préoccupé par la législation en vigueur en matière d’avortement, législation qui pénalisait les femmes ». Et en avril 2008, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution (n°1607/2008) sur « l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe », dans laquelle elle « invite les États membres du Conseil de l’Europe à dépénaliser l’avortement dans les délais de gestation raisonnables ».

La loi actuellement en vigueur au grand-duché, relative à la prévention de l’avortement clandestin et à la réglementation de l’interruption de la grossesse, avait été une de ces petites révolutions sociétales de ce que les libéraux du DP et du LSAP vantent toujours comme une sorte d’âge d’or dans ce domaine, leur co­alition sous Gaston Thorn (DP) sans CSV, de 1974 à 1979. À l’époque, six ans après les mêmes discussions en Allemagne et quatre ans après la Fran­ce, la loi créa le scandale à droite, ceux qui osaient publiquement parler de sexe, et surtout les pro-choix se faisant traiter d’assassins par les conservateurs catholiques. On a entendu le même discours des mêmes milieux à l’encontre de ceux qui défendaient le libre choix de chacun de décider de la fin de sa vie. Finale­ment, peu de choses ont changé en vingt ans. 

Or, pour révolutionnaire qu’elle ait été en 1978, la loi est assez restrictive et interdit, en principe, l’IVG, mais fait des exceptions en cas de viol, de danger pour la santé psychique ou physique de la femme enceinte ou s’il y a des risques que l’enfant à naître soit atteint d’une maladie grave ou d’une malformation, et ce uniquement durant les douze premières semaines de grossesse. La pilule abortive Mifégyne (RU486) a été introduite en 2001 au Luxembourg, du temps de Carlo Wagner (DP) à la Santé – ce qui était d’ailleurs inscrit dans le programme de coalition CSV/DP de 1999, qui mentionnait aussi que la loi de 1978 n’allait pas être réformée.La proposition de loi de Lydie Err généraliserait en fait le droit à une interruption de grossesse pour toute femme enceinte si son état la « place dans une situation de détresse » et ce jusqu’à douze semaines ; au-delà, elle ne peut se pratiquer que pour motif médical. Aucun médecin ne serait tenu de la pratiquer, s’il invoquait des motifs de conscience. Le DP reprend grosso modo la même approche dans son programme électoral présenté lundi (voir pages 2-3) ; Déi Gréng restent plus vagues, mais veulent également réformer la loi. 

Car les chiffres sont accablants : si le Planning familial n’a enregistré que 147 demandes d’IVG en 2007, l’inspection de la santé néerlandaise faisait état de 1 334 femmes résidant au grand-duché et s’étant faites avorter aux Pays-Bas en 2001 – un véritable « tourisme sanitaire » s’est instauré. C’est cette hypocrisie de la politique luxembourgeoise qui agace Danielle Igniti, la présidente du Planning familial, qui s’insurge contre le nouveau moralisme sexuel provenant de la droite religieuse, qui prône l’abstention comme moyen de contraception efficace. Ses services vont lancer une campagne sur le slogan « Si je veux », qui milite pour un avortement plus accessible. En un premier temps, le ministre de la Santé, Mars di Bartolomeo (LSAP), a promis d’accorder la qualité de centre agréé et de mettre à disposition des lits d’hôpital au Planning familial, ce qui permettra à ses médecins de faire eux-mêmes ces interventions. 

La réforme de la loi demandée par les militants, elle, sera forcément remise à la prochaine législature, la majorité actuelle ne va plus y toucher. Ce serait suicidaire pour le CSV, qui sort déjà affaibli des débats sur l’euthanasie, la division entre progressistes et conservateurs ayant éclaté au grand jour. 

josée hansen
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