Paysage d’Hyber

d'Lëtzebuerger Land du 27.09.2024

Artiste de formation scientifique (il a notamment étudié les mathématiques et la physique), Fabrice Hyber compte aujourd’hui parmi les plasticiens français les plus en vue de la scène contemporaine. Sa première toile, intitulée Un mètre carré de rouge à lèvres, rendait hommage à l’œuvre de Frantisek Kupka, imprégnée de la couleur rouge. Dans Le Rouge à lèvre n°II, le fameux objet cosmétique n’y est plus qu’une tâche saillante, un punctum déstabilisant à lui seul l’ensemble de la composition. Un portrait de Kupka de 1908 issu des collections du Centre Pompidou que Fabrice Hyber découvre lors d’une exposition organisée en 1986 au musée de l’Abbaye Sainte Croix.

La décennie suivante vire au vert, Hyber allant jusqu’à faire croître une forêt au cœur du bocage vendéen, région dont il est originaire, ayant vu le jour dans la petite ville de Luçon en 1961. Non loin du lieu où vécurent ses parents, éleveurs de moutons, il plante 30 000 graines d’arbres d’essences différentes et sélectionnées selon un plan minutieux. Il transforme les terres agricoles en une œuvre sylvestre de plus de dix hectares. Ainsi naît La Vallée, dont l’aspect vivant est devenu central au sein de la démarche de Fabrice Hyber, et où la réappropriation de la nature est élevée au rang de métaphore et de paradigme esthétique. « Au fond je fais la même chose avec les œuvres, je sème les arbres comme je sème les signes et les images. Elles sont là, je sème des graines de pensée qui sont visibles, elles font leur chemin et elles poussent. Je n’en suis plus maître. », constate Hyber, élu en 2018 à l’Académie des Beaux-Arts.

Cette exploration du vivant trouve actuellement un écho étonnant au Centre Pompidou-Metz, où Fabrice Hyber a investi le Paper Tube Studio avec son installation Sous le paysage. Le choix de ce lieu singulier n’est pas anodin : sa facture renvoie à l’architecture du Centre Pompidou-Metz et ses matériaux d’urgence qu’utilise habituellement Shigeru Ban, notamment des tubes de papier ou de carton. Depuis les travaux d’aménagements supervisés par le paysagiste Gilles Clément, le Paper Tube Studio a intégré un vaste jardin dans lequel le spectateur peut déambuler à sa guise. Sous le paysage prend pour point de départ une hypothèse, celle d’imaginer ce que pourrait être un paysage sous terre, une sorte de « cartographie de l’invisible aux arborescences multiples », indique un cartel à l’entrée du lieu. Comme cet été au Musée Fesch d’Ajaccio où il convoquait les Nymphéas de Monet au moyen de bassines, l’intervention de Fabrice Hyber au Centre Pompidou-Metz est minimale, décentrée, pleinement participative. Elle repose sur le fait de mettre à la disposition du public tout le matériel nécessaire à la fabrication d’un objet plastique : des tables, feuilles de papier et crayons de couleur, boules d’argile et ciseaux, sans oublier des fils de laine et des graines à semer. Le lieu, on s’en doute, est principalement investi par des enfants, même si des adultes se sont piqués au jeu, comme en témoignent diverses confections et phrases couchées sur le papier : « Sous le paysage il y a l’humus du possible », lit-on sous un dessin. L’espace exigu de 23 mètres de longueur pour 4 mètres de large où se tient l’installation est dédié à l’expression, à la fantaisie, à l’imaginaire, à un ailleurs. Le Paper Tube Studio devient la nacelle d’un voyage, un joyeux désordre fait de guirlandes, de broderies et de dessins suspendus, orné de nombreuses et joyeuses décorations colorées.

De même que La Vallée invalidait le concept d’œuvre, l’installation conçue pour le Paper Tube Studio définit en retour l’artiste comme celui qui se résout à per-mettre, c’est-à-dire, au sens premier de ce verbe, de rendre accessibles des moyens. Il s’agit moins d’être le sujet d’une réalisation exclusivement personnelle, que de réunir les conditions favorables en vue d’une large appropriation collective d’un espace, à la fois réel (le Paper Tube Studio) et imaginaire (le paysage invisible). On comprend à quel point cette approche vient en rupture avec la tradition classique, qui portait au pinacle l’artiste et sa maîtrise technique. La démarche participative et ludique de Hyber s’exerce dans le retrait, à des fins démocratiques, chorales : elle se remplit des traces laissées par ses passagers anonymes, dans des conditions élémentaires assez proche de l’art rupestre. Il y a ainsi, dans cette installation convertie en exposition des œuvres d’autrui, délégation de l’acte créatif, qui restera d’ailleurs inachevé. Voilà comment prend racine une utopie, où écologie et enfance se rejoignent en une commune promesse d’avenir.

Fabrice Hyber.

Loïc Millot
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