Les transformations photographiques contemporaines d’Éric Chenal au Luca pour les Journées du Patrimoine

Dépassement photographique

d'Lëtzebuerger Land du 27.09.2024

Cet automne paraît le troisième volume de Vëlodukt, sur le suivi du chantier de la PC8, la piste cyclable en liaison aérienne reliant Esch à Belval. Éric Chenal, qui a photographié ces travaux pour la Division des ouvrages d’art des Ponts et Chaussées pendant trois ans, propose une étape singulière, au Luca (Luxembourg Center For Architecture). La directrice Maribel Casas lui a donné Carte Blanche.

L’exposition est un parcours en cinq « sections », autant qu’en compte l’ouvrage d’art. On découvre des photographies du site et de l’ouvrage d’art réel dans la « Section inaugurale » sous forme de grandes photographies en couleurs suspendues en kakemono sur le mur gauche au premier étage du Luca. Mais cette Carte Blanche est surtout un « décorticage » du travail technique du photographe et artiste Éric Chenal.

La piste est constituée de deux bandes parallèles. Une jaune pour les piétons, une rouge réservée aux cyclistes. Ces couleurs claquent et dominent l’espace d’exposition, dans une association d’impressions sur toiles tendues. Des images combinées mixent le contexte : la piste, la structure de la passerelle et son environnement. C’est « spectaculaire et simple », écrit Éric Chenal dans le leporello à disposition des visiteurs. Il est réalisé, tout comme la Carte blanche, avec Xavier Pompelle, l’auteur du dispositif scénique. Xavier Pompelle est désormais l’associé de Chenal au sein de l’atelier Miliu, « au service de la mémoire du patrimoine architectural et de ses transformations contemporaines ». Parpaings, sangles, plaques en aggloméré et tubes d’acier sont déclinés sous différents assemblages formels en guise de supports pour les différentes sections.

Éric Chenal, de photographe portraitiste est devenu photographe de suivi de chantier. On se souvient de son premier témoignage avec les ouvriers en train de monter les murs de remblai en pierre du dernier tronçon routier de l’avenue Kennedy pour le passage du tram. Des portraits d’hommes en train de réaliser artisanalement une tâche titanesque (État des lieux – Volume 2 : 2010-2014, une Documentation photographique du Kirchberg, collection Mission photographique du Fonds du Kirchberg)*. On se souvient aussi d’une exposition sur un autre artisanat, l’art du tirage photographique par héliogravure. « On assiste de la part de Chenal à une expression rare de photographie abstraite ou à un exercice d’art plastique par un photographe (d’Land, Images de lumière, 15.12.2017).

Dans cette Carte Blanche, le talent de Juliette Henriet à manier la presse, l’encrage, les papiers, des plus fins aux plus épais, le noir et blanc et les couleurs, est au service de cet entre-deux qu’aime Éric Chenal : ici l’espace, entre la terre et le ciel.

Trois exemplaires sont disposés sur les plaques de cuivre (les matrices) à même le sol et juste derrière, sur des présentoirs, le visiteur pourra feuilleter trois cahiers d’échantillons. Ce sont de « simples » classeurs, mais ils sont posés – certes ouverts – dans des coffrets noirs, précieux. À égalité avec la photographie, le résultat final, celui que l’on montre habituellement.

Si les visiteurs osent, ils feuilletteront des yeux et du toucher les « ingrédients » du travail plastique de Chenal : papiers, plaque de cuivre, teintures végétales… On révèle ici le secret du « déclic » de Chenal avec le site – pas celui du photographe du réel qui a désormais la charge de la documentation photographique de chantiers pour les Ponts et Chaussées, mais de l’artiste. En entrant au Luca, sur le mur réagréé de droite, est accrochée une photographie, un tirage moyen format en couleurs sur Dibond, qui est l’image initiale : un poteau – le premier de la partie de la piste sur passerelle, s’élève tel un tronc d’arbre dans les feuilles mortes et émerge de la terre rouge mouillée, en automne, du Minett. Dans son langage qui lui est propre, Éric Chenal l’appelle l’image augurale. Comme (bon) augure pour la commande qu’en 2021 venait de lui passer la Division des ouvrages d’art des Ponts et Chaussées.

Que le visiteur soit d’ailleurs rassuré : une projection vidéo l’aidera à comprendre aussi bien la réalité du site que la place singulière des usages techniques photographiques. En cela, le travail d’Éric Chenal est bien sûr exceptionnel (comme singulier). On perdrait une expression d’expérimentations exceptionnelles à ne pas aller voir cette Carte Blanche.

Carte Blanche est à voir jusqu’au 4 octobre au Luca,
Luxembourg-Clausen

*L’auteure de l’article a été en charge de la mission
photographique de documentation du Kirchberg jusqu’en 2017

Marianne Brausch
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