Dès son accession au trône de Saint-Pierre en mars 2013, le pape François a voulu faire de son pontificat celui de la transparence des finances du Vatican. Engagement largement rempli, mais il lui aura fallu dix ans. Et la partie n’est pas définitivement gagnée. Ses opposants attendent leur heure, en misant ouvertement sur l’âge (bientôt 88 ans) et la santé précaire du pontife.
Qui se souvient encore du scandale du Banco Ambrosiano, dont l’actionnaire majoritaire n’était autre que l’IOR (Institut pour les Œuvres de Religion) plus connu sous le nom de « banque du Vatican » ? En 1982, sa faillite brutale, suivie des suicides suspects de son patron Roberto Calvi, haut dignitaire de la franc-maçonnerie, et de sa secrétaire, jeta la lumière la plus crue sur les liens de l’établissement avec la mafia, qui y domiciliait l’argent tiré de son activité criminelle.
Le Vatican a accumulé en plusieurs siècles une richesse considérable, qui est d’autant plus difficile à identifier et à évaluer qu’il existe en son sein, selon Andrea Tornielli, directeur des médias du Vatican, une réelle « culture de la dissimulation ». On peut quand même avoir une idée de son patrimoine grâce l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA) qui gère les actifs du Vatican. Ils sont estimés à 2 000 milliards d’euros en 2020. Cet organisme, qui publie désormais ses comptes, a dégagé près de 46 millions d’euros de bénéfice net en 2023, dont 38 millions ont été distribués à la Curie romaine, c’est-à-dire au gouvernement du Vatican.
Les profits bruts, évalués à quelque 63 millions viennent, à hauteur de 27,6 millions d’euros, de la gestion du portefeuille de titres. Le reliquat, soit quelque 35 millions, vient de la gestion d’un vaste parc immobilier, près de 4 300 unités rien qu’en Italie, presqu’entièrement à Rome et dans ses environs. Mais le cœur du réacteur des finances vaticanes est clairement l’IOR. Curieuse banque sans réseau où, en principe, seuls les membres du clergé ou les employés du Saint-Siège peuvent ouvrir un compte.
Créé en 1942 pour faciliter les transferts financiers entre Rome et les « terres de mission », mais aussi pour protéger les finances de l’Église en cas d’arrivée des communistes au pouvoir en Italie, il a été marqué dès l’origine par l’obsession du secret, avec par exemple des comptes numérotés. Sa structure opaque a facilité les manœuvres et trafics de la mafia mais également de toutes sortes d’escrocs et criminels, à des fins financières autant que politiques. Véritable banque offshore au cœur de l’Europe, l’IOR a été impliqué pendant quarante ans dans les principaux scandales financiers italiens (Loge maçonnique P2, Banco Ambrosiano, matchs de foot truqués, corruptions diverses).Selon plusieurs auteurs, le manque de compétences financières des collaborateurs de la banque, souvent des ecclésiastiques, a considérablement facilité les opérations frauduleuses, tout comme la grande indépendance des différents dicastères (ministères).
Pourquoi les papes successifs n’ont-ils pas agi ? Des prélats italiens ont occupé le siège papal de 1522 à 1978 sans discontinuer. Peut-être que leur familiarité avec les combinazione politiques et économiques de leur pays d’origine, quand ce n’est pas leur implication directe, via la Démocratie Chrétienne, parti politique dominant en Italie pendant plus de cinquante ans (1942-1994) les aura-t-elle incités à fermer les yeux sur certains pratiques*.
Mais Jean-Paul II, premier pape non-italien au bout de quatre siècles et demi, n’a pas semblé vouloir agir davantage. Au contraire, il se serait accommodé du système pour atteindre ses buts politiques : la banque Ambrosiano aurait en effet transféré secrètement des fonds au syndicat polonais Solidarnosc dès sa création en août 1980. En avril 2005, l’élection de Benoît XVI, un Allemand connu pour sa rigueur, a commencé à changer la donne. Mais cela aura pris du temps. Et les mesures ont été limitées, avec le remplacement du directeur de l’IOR en septembre 2009, et la création en décembre 2010 de l’Autorité d’information financière (AIF), un organe devant permettre au Vatican de se mettre en conformité avec les normes financières internationales.
La lenteur des progrès et la mauvaise volonté de la Curie romaine ont alors incité la communauté internationale à prendre les choses en mains. Première humiliation, en mars 2012 les États-Unis ont ajouté pour la première fois le Vatican à une liste de 68 pays en « situation préoccupante » au regard du risque de blanchiment, aux côtés de l’Albanie, de l’Égypte et du Yémen, le micro-État ayant été jugé « potentiellement vulnérable » en raison des fonds importants circulant entre lui, malgré sa petite taille, et le reste du monde.
En juillet 2012, le rapport publié par Moneyval, un organe du Conseil de l’Europe chargé d’évaluer les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, épinglait à nouveau l’opacité financière du Vatican. L’évaluation portait sur un total de 45 recommandations du Gafi (Groupe d’action financière) applicables au micro-État. La législation vaticane était jugée conforme pour 22 d’entre elles, partiellement ou non conforme pour les 23 autres, un résultat pour le moins mitigé, bien que Moneyval ait reconnu de grands progrès accomplis en peu de temps.
Entretemps, en mai 2012, était survenu le scandale des fuites du Vatican (ou Vatileaks), des documents confidentiels transmis par le propre majordome du pape (aussitôt arrêté et incarcéré) révélant l’existence d’un large réseau de corruption, de népotisme et de favoritisme lié à des contrats signés avec des fournisseurs italiens.
Le pape François a commencé à faire le ménage immédiatement après son élection, en faisant tomber quelques « grosses têtes » et en en faisant apparaître de nouvelles. Le 14 juin 2013, le « Gentilhomme de Sa Sainteté », Francesco La Motta, était arrêté pour un détournement de dix millions d’euros et cet ordre millénaire est dissous. Deux semaines plus tard, Mgr Scarano, chef-comptable de l’APSA, surnommé « Monsignor 500 » par référence aux billets de 500 euros qu’il manipulait, était arrêté pour corruption, aide à l’évasion fiscale et blanchiment. Selon la justice italienne, sa position privilégiée l’avait amené à développer un fort sentiment d’impunité.
De l’avis général la mesure la plus importante aura été, à la faveur d’une modification profonde des statuts et de la gouvernance de l’IOR, la nomination en juillet 2014 à sa tête du financier français Jean-Baptiste de Franssu, ancien président de l’Efama (European Fund and Asset Management Association) qui, aidé d’un conseil d’administration très international, a radicalement réformé la gestion de la banque du Vatican. Entre 5 000 et 10 000 comptes douteux ont été supprimés, il en reste environ 15 000. En mars 2023, l’IOR s’est à nouveau transformé pour se conformer à la nouvelle constitution apostolique Praedicate Evangelium de 2022 : mandats de cinq ans renouvelables une seule fois, structure de gouvernance plus rationnelle avec des rôles mieux définis entre les différents organes.
Dans une interview au Figaro en mai 2024, M. de Franssu faisait un bilan de ses dix années à la tête de l’IOR, en mettant en avant « la professionnalisation de l’établissement ». Il a été accepté dans le SEPA, le système européen de paiement. Il travaille dorénavant avec quarante banques correspondantes quand seule la Deutsche Bank collaborait avec lui en 2014. L’institution a aussi bénéficié de la meilleure note possible lors du dernier audit de Moneyval. Par ailleurs, le Vatican a signé des accords fiscaux avec les principaux pays où sont domiciliés les clients de l’IOR, en premier lieu l’Italie. En 2023 l’IOR a réalisé un bénéfice net de 30,6 millions d’euros de résultat net, en légère hausse sur 2022 mais 69 pour cent plus élevé qu’en 2021. Le total des actifs des clients s’élève à 5,4 milliards d’euros, et le ratio de capital minimum TIER 1 est très élevé (60 pour cent). D’autres mesures de transparence ont été prises, avec notamment, début 2024, un nouveau code d’appel d’offres pour les marchés publics.
Pour autant le nettoyage des écuries d’Augias n’a jamais cessé et en 2021 est venu le temps des procès et des condamnations. Le cas le plus emblématique est celui du cardinal Becciu.
En 2019 furent découvertes les malversations commises par cet Italien qui occupait alors le poste prestigieux de Préfet de la Congrégation pour la Cause des Saints, après avoir été pendant sept ans le numéro deux du plus important dicastère. Il était accusé de mauvaise gestion, après avoir fait perdre au Vatican quelque 150 millions d’euros lors de la revente d’un immeuble à Londres, et de plusieurs détournements de fonds, notamment en offrant une subvention de 125 000 euros à une œuvre humanitaire gérée par son frère. Il a été jugé en 2021 et condamné, en décembre 2023, à cinq ans et demi de prison. C’était le premier cardinal à être jugé devant un tribunal civil du Vatican.
De son côté Mgr Scarano avait été condamné à sept ans de prison en mars 2022, et en janvier 2021 Angelo Caloia, président de l’IOR de 1989 à 2009, avait écopé de neuf ans de prison pour blanchiment aggravé. Mais malgré les efforts accomplis, la réputation du Vatican en a pris un coup. La confiance dans l’Église qui était tombée à 42 pour cent en 2012, était remontée en flèche avec l’élection de François, mais il n’est plus aussi populaire qu’au début de son pontificat.
Pour faire passer ses réformes, François s’est plus appuyé sur « les costumes gris » que sur « les soutanes », car pour les hommes d’église « le droit canon passe avant celui de la communauté internationale ». Selon le journaliste français François de Labarre, auteur du livre Vatican offshore (2023), les « hommes de l’ombre » attendent l’élection d’un nouveau pape pour reprendre la main, ou plutôt pour tenter de le faire, le pape François ayant rendu plusieurs réformes difficilement réversibles.