élections écossaises

Une chance pour une autre Europe

d'Lëtzebuerger Land vom 14.05.2021

À la veille des élections législatives en Écosse, une vidéo a fait la une des sites d’information. On y voit Jayda Fransen, l’égérie de l’extrême-droite britannique, poursuivre la Première ministre d’Écosse Nicola Sturgeon durant sa campagne électorale à Glasgow. Agressée verbalement par la militante d’extrême-droite, Sturgeon s’arrête, se retourne et lui répond avec son calme légendaire : « Vous êtes une fasciste, une raciste et Glasgow Southside vous rejettera. »

C’est bien ce que cette circonscription électorale du centre de Glasgow a fait, puisque l’activiste islamophobe n’a obtenu que 46 voix, alors que Sturgeon a recueilli 60,2 pour cent des suffrages, l’équivalent de 19 735 voix. Lors de son intervention, Fransen avait accusé Sturgeon de favoriser l’immigration et de promouvoir le grand remplacement démographique, des thèmes chers à l’extrême-droite, qui ont aussi façonné l’idéologie du Brexit. Or en 2016, 62 pour cent des électeurs écossais s’étaient exprimés en faveur d’un maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Nul doute que le désir d’Europe aura motivé une partie des électeurs qui ont voté pour les principaux partis indépendantistes, le Scottish National Party (SNP) de Nicola Sturgeon et les Scottish Greens écologistes. Ensemble, ils auront 72 députés dans un parlement qui en compte 129.

Ce qu’on appelle en Écosse « la question constitutionnelle », c’est-à-dire l’indépendance, va donc dominer les débats politiques à Édimbourg et à Londres pour les mois à venir. Le fait que le SNP avec ses 64 députés n’ait pas obtenu la majorité absolue est uniquement dû au système électoral. Holyrood, le parlement écossais, accueille 129 députés élus pour un mandat de quatre ans, suivant un système mixte qui combine un scrutin majoritaire uninominal et de la proportionnelle par compensation dans le but d’empêcher qu’un parti unique obtienne la majorité absolue. Ce système complexe vise à compenser les distorsions causées par le scrutin majoritaire uninominal. Le SNP a remporté 62 des 73 circonscriptions par suffrage uninominal en un tour, les Conservateurs cinq, les Libéraux démocrates quatre et les Travaillistes deux. Les 56 autres députés ont été élus à la proportionnelle dans huit régions électorales qui ont élu, chacune, sept membres du parlement.

Il s’agit d’un immense succès pour le SNP, dont c’est la quatrième victoire consécutive aux élections législatives, et pour les écologistes qui ont augmenté leur nombre de députés ainsi que leur part de vote, alors que tous les partis unionistes ont perdu du terrain. Toutefois, tout n’est pas rose pour les nationalistes. Dans de nombreuses circonscriptions, les électeurs opposés à l’indépendance ont voté stratégiquement en faveur du candidat unioniste ayant les meilleurs chances de remporter le siège. Même si cette stratégie a échoué dans la plupart des cas, ce développement est indicateur d’une reconfiguration du paysage politique écossais.

Cette évolution renforce l’image du SNP en tant que grand parti social-démocrate poursuivant des politiques progressistes et ayant un terrain d’entente naturel avec les Scottish Greens. Cette perception n’est pas sans importance dans une Écosse qui vote traditionnellement à gauche. Dans un Royaume-Uni, dominé par une Angleterre plus conservatrice que jamais, le SNP et les écologistes martèlent l’argument que l’indépendance est la seule voie permettant la mise en place de politiques de gauche et écologiques. Rejoindre l’Union européenne fait partie de cet agenda et une Écosse au sein de l’Union européenne serait sans nul doute une chance pour ceux qui rêvent d’une Europe sociale promouvant des politiques écologiques. Cependant, ces élections indiquent que l’Écosse reste profondément divisée sur la question de l’indépendance. En effet, les derniers sondages avant les élections montraient que le soutien pour l’indépendance était en perte de vitesse depuis le mois de février. Il est à noter que la part des votes en faveur des partis indépendantistes et unionistes est pratiquement égale avec 50 pour cent pour chaque bloc.

Avec une majorité indépendantiste renforcée au parlement, Nicola Sturgeon souligne qu’elle a un mandat pour organiser un nouveau référendum sur l’indépendance d’ici deux ans. Londres s’y oppose et le bras de fer risque de durer. Pris de panique, malgré les excellents résultats de son parti aux élections locales en Angleterre, Boris Johnson a proposé d’organiser un sommet réunissant les dirigeants écossais et gallois pour étudier ensemble comment ce qu’il appelle la « Team UK » pourrait se remettre de la pandémie. Il est vrai que le Pays de Galles aussi cause bien des soucis à Johnson, puisque le Parti travailliste, malmené en Écosse et en Angleterre, y a largement remporté les élections législatives.

Pour le gouvernement écossais qui pendant des années a exigé de pouvoir prendre part aux négociations sur la sortie de l’Union européenne et obtenir un statut particulier comme celui de l’Irlande du nord, cet appel de Londres n’a guère de crédibilité. Sturgeon a toutefois accepté de participer au sommet, réitérant « son intention de veiller à ce que le peuple écossais puisse choisir son propre avenir une fois la crise [sanitaire] terminée » et soulignant que « la question d’un référendum est désormais une question de temps, et non plus une éventualité ».

Laurent Mignon
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