Grande-Bretagne

L’antitsiganisme à l’ère du Brexit

d'Lëtzebuerger Land vom 16.04.2021

À première vue, le tract préparé par la section locale du Parti travailliste de Warrington, petite ville au nord-ouest de l’Angleterre entre Manchester et Liverpool, n’avait pas de quoi provoquer les passions. S’ils étaient élus lors les élections locales du 6 mai, les travaillistes s’engageaient à prendre les mesures nécessaires pour calmer le trafic, de lutter contre les comportements asociaux et de s’occuper du resurfaçage des routes. Pour Charlotte Nichols la députée britannique de Warrington North et ministre du « cabinet fantôme » avec comme portefeuilles les femmes et l’égalité, venir donner un coup de main aux camarades de la section locale pour distribuer des tracts ne devait pas causer de problème. Sauf que le tract en question promettait également de « régler le problème des incursions des gens du voyage » [dealing with traveller incursions].

Dénoncée par des activistes roms et Travellers – une population nomade d’origine irlandaise – Nichols publia dans un premier temps une déclaration sur son compte Twitter où elle expliquait ne pas avoir été consciente de la signification péjorative du terme « incursion » : « La terminologie autour des « incursions » est largement usitée dans des contextes légaux et d’administration municipale et je n’étais pas consciente de sa définition problématique. » Cette explication causa la consternation générale parmi les représentants des communautés GRT (Gypsy, Roma and Travellers), puisque par le passé, la parlementaire avait exprimé son soutien aux gens du voyage face aux mesures répressives du gouvernement conservateur. Cette première déclaration allait vite être remplacée par une autre, plus policée, présentant ses excuses inconditionnelles et indiquant que le tract incriminé avait été « retiré et détruit ».

Cette étrange anecdote est symptomatique de la profonde crise que connaît aujourd’hui le Parti travailliste qui tente de renouer péniblement avec son électorat traditionnel séduit par le Brexit dans le nord du pays. Le cas de Nichols est caractéristique. À de nombreuses occasions, elle a souligné qu’elle était plutôt opposée à la sortie de l’Union européenne, mais elle représente depuis 2019 une circonscription électorale largement en faveur du Brexit. En 2016, 54,3 pour cent des électeurs de Warrington avaient voté pour le « Leave ». Or, lors de la campagne du référendum, la propagande eurosceptique était marquée par une rhétorique xénophobe et parfois raciste. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise que dans les mois qui suivirent le référendum, les agressions et crimes à caractère raciste augmentèrent à travers le pays. Les communautés GRT furent particulièrement touchées par ce développement. Avant le référendum aussi le discours antitsiganiste avait joué un rôle significatif, à côté des préjugés plus traditionnels à l’encontre des Travellers.

La montée du racisme antitsigane dans une grande partie de l’Europe centrale et orientale après 1989 a provoqué une migration de Roms vers le Royaume-Uni et l’Europe occidentale suite à l’expansion de l’Union européenne vers l’Europe de l’est. Au Royaume-Uni, comme dans le reste de l’Union, l’arrivée des Roms avait été instrumentalisée par les mouvements europhobes et les partis d’extrême-droite pour contester le principe de libre circulation. L’euroscepticisme et l’antitsiganisme devenaient ainsi des alliés objectifs, alors que les médias populistes dénonçaient l’afflux de Roms de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie et d’ailleurs. La peur de « l’invasion » fut un argument clé pour attiser les craintes d’une migration à grande échelle à la veille du référendum britannique sur l’Union européenne.

Le Conseil de l’Europe reconnaît que l’antitsiganisme est une forme spécifique de racisme à l’encontre des Roms et des gens du voyage, alimentée par de nombreux préjugés et stéréotypes conduisant à diverses formes de discrimination. Au Royaume-Uni les communautés GRT sont estimées à 300 000 personnes et elles représentent la minorité la plus discriminée, en particulier dans le système scolaire, le système de santé et pour l’accès au logement. De nombreux groupes, familles et individus sont aujourd’hui menacés d’expulsion dans le cadre des nouvelles réglementations concernant le droit de séjour au Royaume-Uni.

Déchiré sur la question du Brexit, le Parti travailliste risque de perdre son âme en cherchant à récupérer ses électeurs perdus aux conservateurs europhobes de Boris Johnson. La rhétorique antitsiganiste sur un tract électoral indique qu’au sein du parti certains militants sont prêts à adopter la solution de facilité, qui est celle d’épouser le discours xénophobe des avocats du Brexit.

Laurent Mignon
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