Un viel écrivain et une jeune plasticienne

Le vieil homme et la fontaine

d'Lëtzebuerger Land vom 08.04.2016

Cela aurait pu être une fable. Mais ce n’est qu’une rencontre fortuite entre un vieil écrivain et une jeune plasticienne. Un rendez-vous entre deux artistes aux multiples je qui jouent entre les eaux avec la matière du discours.

Georges-Arthur Goldschmidt, l’écrivain de passage l’autre jour au Mudam, est la nounou de la langue maternelle quand il lange les syllabes, le précepteur du langage quand il éduque la phrase et le grand-père de la parole quand il peut enfin jouer avec les mots. Su-Mei Tse, la maîtresse de l’archet et du pinceau, est la nymphe qui jaillit de sa fontaine qui pétille de beaucoup de mots dits en hommage, non pas à votre serviteur, mais à la littérature tout court. Est-elle aussi la sirène qui séduit le rusé Ulysse qui finit par perdre sa sagesse en trempant cane et plume dans la matière même de son art ? Matière première même, comme on dit art premier ou premier cri, voire premiers balbutiements. Ces arts premiers qui, de toute façon, auront le dernier mot. De cette fontaine jaillit un matériel brut, brutal et vital comme le sang, une encre noire comme la bile et la mélancolie, un liquide amniotique plein des promesses à naître et une eau du Styx, tombeau flottant de la mémoire. Une eau des songes qui ne se fait mensonge que pour qui est de mauvaise foi.

La veille, Goldschmidt, dans une belle conférence aux Rotondes, avait opposé le côté concret de la langue allemande, de Luther à Heidegger, en passant par Freud et Kafka, au côté abstrait du français, de La Bruyère à Lacan, en passant par Rousseau et Voltaire. Le lendemain, mal lui en prit à notre gamin d’avoir, presqu’à la dérobée, souillé son dard qu’il retira ruisselant de cette humeur noire, souillant le rivage de la fontaine, affolant les gardiens du musée. Le vieil homme, pourtant, n’esquissa que le premier geste de l’écriture, mouvement primitif vers l’œuvre au noir qui doit toujours s’excuser d’être en train de naître. Car l’écriture de Goldschmidt dérange, éclabousse, se fait gronder et punir d’être là, tout simplement. Elle est comme ce gamin qui se fait attraper, surprendre et gronder d’avoir prononcé des gros mots qui tachent. Oui, comme Picasso son aîné, Goldschmidt a fini par découvrir l’émerveillement de l’enfant. Et le geste de Goldschmidt prit l’allure d’un gag de Buster Keaton.

Yvan
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