Dan Kersch sur le climat (politique), les limites d’une réforme de l’impôt foncier et ses relations troublées avec les Verts

« Ech weess jo, wéi dat gelaf ass »

d'Lëtzebuerger Land vom 14.05.2021

d’Land : En succédant à Etienne Schneider comme Vice-Premier ministre, vous avez également rempli un vide laissé au sein du LSAP.

Dan Kersch : Même s’il était prévisible qu’Etienne n’allait pas terminer son mandat, j’ai regretté sa décision. J’aurais préféré qu’il reste, et je le lui ai dit. Etienne a un certain charisme. C’est à tort qu’il a été accusé d’être trop proche des milieux économiques. Car quand on le connaît, on sait que c’est une personne qui pense de manière sociale. Son départ est une perte pour le LSAP, même si nous avons réussi à la compenser relativement vite. Franz Fayot, c’est un autre type de politicien qu’Etienne Schneider, mais il a pu prouver en peu de temps qu’il sait approcher les dossiers avec une grande expertise et un grand calme. Et je trouve très rafraichissant que quelqu’un comme Paulette [Lenert] soit au gouvernement. Cela fait du bien au gouvernement, et cela fait surtout du bien à notre parti. Je savais qui j’avais proposé à notre parti quand j’ai dit qu’elle devait rentrer au gouvernement. À l’époque j’ai été critiqué au sein du parti, mais aujourd’hui plus personne ne conteste que c’était le bon choix.

Avant de lui proposer le poste de ministre, avez-vous parlé avec Paulette Lenert des pressions qui sont celles du monde politique et médiatique ?

Non, nous ne pouvions alors pas prévoir jusqu’à quel point ces pressions allaient monter. Je dois dire que ce qui se passe actuellement est difficilement supportable, même pour des politiciens expérimentés. Je parle de la manière dont les ministres et leurs familles sont dénigrés et visés par des attaques personnelles. Je pourrais vous citer des dizaines de cas où ma femme s’est fait prendre à parti : ‘Dis à ton salaud à la maison, et cetera.’ Cette campagne autour des indépendants a généré une haine énorme. Cela a pris une dimension… À mes yeux, on en arrive à une situation, où des gens a priori intéressants seront à jamais perdus pour la politique.

La réforme de l’impôt foncier reste le grand serpent de mer de la politique luxembourgeoise. Il n’est ainsi toujours pas clair quelle devra en être la finalité : Remplir les caisses communales ou mobiliser des terrains ?

Je ne partage pas l’avis de ceux qui pensent que l’impôt foncier pourra résoudre la crise du logement. Au Luxembourg, cet impôt est certainement trop bas, et je pourrais m’imaginer qu’il augmente d’un cran, du moins pour certains propriétaires, ceux qui ont beaucoup de terrains. Mais je reste également convaincu que, pour ceux qui n’ont qu’une maison où qui gardent un terrain pour leurs petits-enfants, l’impôt foncier devra rester au niveau actuel. Quant aux finances communales, il faut rappeler de quelles envergures on parle. Actuellement, l’impôt foncier rapporte quarante millions d’euros par an. Même si on le multipliait par dix, cela ne suffirait certainement pas à financer les communes.

On pourrait également argumenter qu’une hausse massive de cet impôt rendrait la rétention foncière moins lucrative, et finirait donc par convaincre les propriétaires à viabiliser leurs terrains.

On entrerait dans une logique totalement folle ! On ne parlerait alors pas d’une multiplication par un facteur dix, mais cent. Et qui le ferait ?

Quelqu’un qui, politiquement, n’a plus rien à perdre ?

Il perdrait surtout sa crédibilité. Le problème réside à un autre niveau : l’imposition des plus-values. Si j’achète une maison en 2015 pour un million d’euros et que je la vends en 2020 pour 1,8 million, je n’aurai à payer que vingt pour cent d’impôts sur les plus-values réalisées. Comment justifier cela ?

Au congrès du LSAP, vous lanciez l’idée d’un « impôt corona » visant les bénéficiaires de la pandémie. Une proposition qui ne semblait pas avoir été discutée en amont au sein du parti.

Le programme fondamental du LSAP revendique une société équitable, et la fiscalité en fait partie. Je suis le Vice-Premier ministre et je prends la liberté de donner une série de directions. Si le parti est d’avis que celles-ci ne sont pas correctes, il doit en discuter au congrès, et nommer quelqu’un d’autre comme Vice-Premier.

En même temps, vous avez repoussé toute réforme fiscale à 2023… Avez-vous passé un pacte de non-agression avec le DP ?

Les questions fiscales, on ne doit pas les reporter op Mokuchsdag. Ce qui est vrai c’est qu’en pleine crise, ce n’est pas le moment d’augmenter les impôts. Et que, le jour où on le fera, il faudra être sélectif. Mais je trouve intéressant que des parties non-négligeables du CSV – même si elles sont aujourd’hui un peu hors-jeu – estiment que c’est une bonne idée. Je trouve également intéressant que le Premier ministre ne dit pas que c’est hors de question. Je trouve enfin intéressant la réaction du ministre des Finances. Tout cela veut dire que ce n’est pas une proposition faite à la légère. Pour moi, l’impôt corona reste une option très claire. Si j’ai quelque chose à voir avec le programme électoral que le LSAP élaborera – et cela ne se fera pas à six mois des élections –, alors cette discussion fiscale devra se mener. Et ceci dès la précampagne.

Elle commence quand, cette « précampagne » ? En 2022 ?

Oui, les partis doivent se positionner. Ce n’est pas parce que nous avons bien travaillé ensemble que les trois partis de coalition seraient devenus des triplés siamois. Le DP a d’autres idées en matière fiscale que les Verts, et les Verts ont d’autres idées que le LSAP. Je trouve utile que chacun se positionne clairement.

Serez-vous « Spëtzekandidat » du LSAP au Sud ?

Je ne le sais pas encore.

De quoi cela dépendra-t-il ?

De ma santé. J’ai aussi une famille, et puis il y a une vie après la politique. On avait dit une fois que dix ans devaient suffire, et je reste de cet avis. Or, en politique, on ne décide pas tout seul.

Aux dernières élections communales, un siècle de socialisme municipal s’est en partie effondré. Le LSAP a perdu Esch et Schifflange, et n’a pas réussi à reconquérir Bettembourg. Dans les trois cas, les Verts ont fait faux bond.

Je tiens à rappeler que, dans toutes les communes que vous citez, le LSAP reste le parti le plus fort. Je tiens également à rappeler que Déi Gréng ont partout passé des coalitions avec le CSV. Cela est frappant…

… Cela a surtout dû peser sur vos relations avec les Verts.

Ech weess jo, wéi dat gelaf ass. Je sais pourquoi les Verts l’ont fait. Regardez la coïncidence des dates. Les élections communales ont eu lieu en octobre 2017, un an avant les législatives…

Vous voulez dire que les Verts préparaient un ticket Wiseler-Bausch ?

Pour nous, c’était un signal que les socialistes devaient être évincés. Même si je ne conteste pas qu’on est toujours e bëssi selwer Schold…

Au conseil de gouvernement, vous avez régulièrement clashé avec la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg (Déi Gréng). On dit que Dan Kersch comprend l’urgence climatique de manière abstraite, mais pas de manière viscérale…

Ce sont ceux qui n’aiment pas parler de la question sociale, qui le disent. Pour moi, les deux questions sont absolument indissociables. Résoudre la question climatique sans prendre en considération la question sociale, c’est d’abord échouer écologiquement et ensuite provoquer une catastrophe humanitaire. L’idéologie verte consiste principalement à renchérir des produits pour préserver les ressources. Je ne conteste pas cette approche. Mais on ne peut rendre certains produits aussi chers qu’ils finiront par être réservés à une petite couche de personnes qui peuvent se les payer. Les uns continueraient allègrement, tandis que les autres resteraient penauds. Et puis qui touche les subsides ? Qui se paie une voiture électrique ? Certainement pas celui qui gagne le salaire minimum : il va s’acheter une « Drecks-Schleider », peut-être 3 000 euros moins cher en occasion, et finira par se prendre les taxes en pleine figure.

Votre génération politique est en grande partie issue de la scène syndicale. Cette voie royale vers la politique semble aujourd’hui abolie.

Effectivement. C’est un problème pour nous, et c’est un problème pour le syndicat. Les jeunes pensent ne plus avoir besoin de syndicats. Je crains que ce calcul ne soit pas tenable. Par le passé, le LSAP recrutait beaucoup auprès de gens qui s’engageaient dans le syndicat. De nombreux syndicalistes prenaient d’abord pied dans la politique communale, puis montaient en politique nationale. Je regrette que ce ne soit plus le cas.

Bernard Thomas
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