René Blum arriva le 10 avril 1944 à Londres, troisième et avant-dernière étape de son exil1. La guerre touchait à sa fin et il fallait préparer l’après-guerre2. Le gouvernement luxembourgeois avait décidé in extremis d’établir son siège dans la capitale anglaise et de faire appel à Blum pour représenter le Luxembourg dans la Commission internationale pour la recherche des criminels de guerre. Blum participa pendant les trois mois de sa présence à Londres aux séances du Conseil des Ministres en tant que conseiller juridique du gouvernement3 chargé de rédiger les principaux arrêtés grands ducaux sur le retour à la légalité, le séquestre des biens ennemis, le droit de réquisition4.
Blum devait cette promotion subite à Victor Bodson qui lui avait succédé à la tête du ministère de la Justice juste avant l’invasion allemande et avait porté contre lui de très graves accusations au moment de son arrivée en Amérique5. En juin 1943, Bodson demanda à la surprise générale que Blum travaille « sous ses ordres » à Londres6. Ce revirement s’expliquait par le tournant de la guerre et par l’opposition de Bodson à la proposition de placer le Luxembourg au moment de la Libération sous une administration civile américaine (« Civil Affairs »).7
En avril 1944, le gouvernement luxembourgeois apprit que le représentant belge à Moscou, M. Van de Kerchove d’Hallebast, avait été déclaré persona non grata8. Ayant confié ses intérêts à la Belgique, le gouvernement était pris au dépourvu et forcé d’agir dans l’urgence, le sort des prisonniers de guerre luxembourgeois étant en jeu. Son choix se porta sur Blum qui avait été le premier à s’inquiéter des conséquences néfastes de l’absence de représentation directe sur place.
Montréal, 1er mai 1942, René Blum à Pierre Dupong, ministre d’État :
« Je viens de lire, dans la presse du soir de ce jour, le texte intégral du message de Monsieur Staline lors de la fête du 1er mai à Moscou. Ce qui m’a frappé, c’est le mutisme absolu de cet homme d’État au sujet de notre pays, dont on semble ignorer complètement la lutte contre l’envahisseur. (…) Ce silence me paraît extrêmement grave en présence du rôle primordial joué par la Russie dans la lutte contre l’oppression hitlérienne et l’affranchissement de l’Europe. (…) Tout cela m’amène à conclure que l’établissement de relations diplomatiques avec la Russie devient, à l’heure actuelle, une nécessité aussi impérieuse qu’urgente. »9
En mai 1943, le représentant de la France libre en Union Soviétique, Garreau, signala au gouvernement luxembourgeois que le journal Izvestia avait consacré un article à la désertion d’un soldat luxembourgeois. Il proposa d’associer les Luxembourgeois à la démarche française en vue de la séparation des prisonniers alsaciens et lorrains des prisonniers allemands et de la constitution d’une unité commune combattant aux côtés de l’Armée Rouge. L’ambassadeur belge à Moscou protesta contre ce qu’il considérait comme une immixtion française dans son domaine de compétence et proposa le transport des prisonniers de guerre luxembourgeois en Afrique du Nord pour y être affectés à une unité belge en voie de constitution.10
En mai 1944, les prisonniers alsaciens-lorrains quittèrent le camp de Tambov11sans les Luxembourgeois12. Le gouvernement était pris au piège d’une politique étrangère hésitante, agissant au fil des rencontres mondaines pour ne s’engager toujours qu’à moitié et en retard d’une initiative, à la remorque des politiques belges.
Blum quitta Londres le 18 juillet 1944, trois mois après son arrivée, pour rejoindre Moscou par Gibraltar, Alger, Le Caire et Téhéran, un long périple qui lui permettait de contourner l’Europe encore en guerre13. Blum était le plus heureux des hommes. Arrivé à Téhéran, il fit le récit de ses aventures, en attendant de s’embarquer pour Moscou.
Téhéran, 30 juillet 1944, Blum au Premier ministre et aux autres membres du gouvernement :
« Je suis arrivé à 7h30 du matin (le 19 juillet) à Gibraltar. À mon agréable surprise, un délégué du Gouverneur Général se trouvait à l’aéroport, me conduisant immédiatement au Palais du Gouverneur. (…) J’ai constaté avec plaisir le prestige et la sympathie dont jouit le Prince Félix parmi tous ces grands milieux militaires ; j’ai hâte d’ajouter que sur la table de la salle de réception se trouvaient les photos de LL.AA.RR. Madame la Grande Duchesse et du Prince Félix, ce qui m’a évidemment fait un plaisir indicible. »
Blum était devenu une personnalité officielle, ambassadeur parmi les ambassadeurs, roi dans son domaine, libre de parler et d’agir au nom de son pays. Il n’avait plus rien de l’agitateur socialiste indigne de serrer la main de sa Souveraine et soupçonné de falsifier des documents. Il était un homme d’État, ayant le sens de l’État, un diplomate pesant ses mots et sachant se taire, respectueux des autorités et des convenances.
À Téhéran, il arriva le jour de l’enterrement du Chah-in-chah, le tout-puissant empereur de Perse. Il se rendit immédiatement au Palais pour déposer sa carte de visite et fut hébergé par M. Fazel-Stein, un grand propriétaire terrien, bâtonnier du Barreau, conseiller de la Cour et époux d’une Luxembourgeoise.
« La vie ici est extrêmement intéressante : un mélange impossible d’uniformes anglais, américains, français, polonais, tchécoslovaques, hindous et surtout russes, caractérisés par leurs bottes et leurs chapkas. La population indigène ici a l’air tout à fait européenne, la race iranienne semble plus propre et plus cultivée que les Arabes d’Égypte. Des merveilleux types d’humains ; les femmes ne sont pas voilées comme en Égypte, mais portent de longs voiles colorés laissant la figure libre. »14
Blum ne se contenta pas de faire profiter le gouvernement de ses observations ethnographiques. Il lui dicta la voie à suivre lors de la Libération. Il insista sur « la symbolique des premiers moments » destinée à marquer les esprits et exclure tout retour en arrière.
Téhéran, 1er août 1944, Blum à gouvernement :
« Le premier (point) est celui du fonctionnement du séquestre des biens ennemis et ‘contrôlés’ par lui. Il est clair que cette mesure doit fonctionner dès la première heure de la libération. Le moindre retard constitue un retard en la demeure. D’où la nécessité de créer, dès Londres, l’organe d’exécution capable de prendre sans retard les mesures d’exécution (…) et les mesures conservatoires requises : inventaires, garde, bilan etc. »
Le deuxième point serait « la reprise immédiate du régime parlementaire, situation unique et modèle pour les nations alliées redonnant au peuple luxembourgeois le sentiment de sa souveraineté oblitérée pendant si longtemps ».
Le 8 août 1944, Blum était à Moscou. Il alla immédiatement se présenter au chef du protocole et défit ses deux valises. Il avait amené une pelisse et un bonnet en fourrure pour l’hiver, un frac pour les réceptions, un tas de dossiers et un volumineux code de chiffrage. Il n’avait pas de machine à écrire, pas de voiture de fonction et ne connaissait que quelques mots de russe. Il avait laissé son épouse aux États-Unis. Il devait tout faire par lui-même, encoder, décoder, faire les courses, prendre les rendez-vous, se renseigner, faire des connaissances. Son ambassade était une chambre à l’Hôtel National à 500 mètres de la place Rouge. Il menait la vie frugale d’un célibataire. Moscou en 1944 c’était Sparte, la vertu austère qui avait tenu tête à l’assaut des barbares.
Moscou, 30 août 1944, René Blum à Victor Bodson, texte manuscrit15:
« Cher Vic, La vie ici est loin d’être gaie. La diplomatie est faite pour des gens commodes, disposant de loisirs, ce qui n’est pas le cas pour les vieux militants de notre espèce. Quel changement avec la vie frémissante que nous avions ensemble à Londres, pleine d’initiatives et de nouvelles idées. »
Le 12 août, Blum était reçu par Molotov, commissaire aux Affaires Étrangères, qui fut chaleureux et lui parla de la grève générale de 1942, de la loi-muselière de 1937 et du rôle joué par Blum. Le 22 août, il eut un long entretien avec le vice-commissaire Vychinski. Blum proposa la constitution d’une unité luxembourgeoise combattant aux côtés de l’Armée Rouge.
Le 27 août 1944, René Blum télégraphie au gouvernement luxembourgeois : « Vychinski remercie déclarant toute contribution effort commun même symbolique agréable. Le vice-commissaire a estimé que ‘la situation militaire actuelle est très avancée et que la proposition est probablement tardive. »16 C’était un refus diplomatique. Les Russes n’avaient plus besoin des Luxembourgeois pour gagner la guerre.
Londres, 5 septembre 1944, Bech à Blum (télégraphe) :
« Nous partirons probablement dans 48 heures17. Nous avons reçu vos envois Égypte, Perse et câbles Moscou. Dans question nos prisonniers en Russie gouvernement estime ne pas insister sur incorporation à raison du développement des événements. Même attitude adoptée par Gouvernement belge confidentiel. »18
La Belgique avait parlé. La constitution d’une unité combattante aux côtés de l’armée soviétique n’était plus à l’ordre du jour. Blum était désavoué, obligé à faire marche-arrière. Pour les prisonniers luxembourgeois l’heure de la libération était reculée jusqu’à la fin de la guerre. Estimant que sa mission était terminée, Blum demanda de pouvoir rentrer. Le conseil des ministres décida à l’unanimité que Blum devait rester en poste, « mission Moscou annoncée à BBC et acceptée à Luxembourg encore sans résultat », que « temps exigé pour prendre provisoirement congé de Moscou et arriver Luxembourg trop court ».19
Blum était empêché de participer à la libération du pays, ayant à assumer les conséquences d’une politique qu’il avait critiquée. Il envoya à Londres des messages de plus en plus amers et inquiets à ses « amis Pir et Vic », les membres socialistes du gouvernement. Il les chargea de prendre soin de sa femme, de la fille de celle-ci, restée au Luxembourg en mai 1940, de son mobilier volé par les nazis, de l’excuser auprès du Parti, dont il se considérait toujours comme le président. « Et dis aux amis que j’espère être bientôt de nouveau à leur disposition. »
Moscou, le 8 septembre 1944, Blum à Krier et Bodson:
« Je lis avec stupéfaction dans la Pravda et dans Izvestia que le ‘major’ Schommer est parti comme chef de la Mission militaire. Je n’en peux croire mes yeux. Qu’en sera-t-il maintenant de l’exécution de nos textes : confiscation des usines, poursuite des traîtres et collaborateurs, tous amis et partisans du major. Sera-t-il également chef de la Justice ? Ce sera du propre. Je suis complètement découragé, alors que toute notre œuvre est ainsi compromise, surtout si cela dure avec la dictature Schommer. »
C’était Schommer, l’homme du parti libéral, proche de la sidérurgie, qui était chargé, en tant qu’officier des « Civil Affairs » du maintien de l’ordre et du contrôle des milices de l’Union des organisations de résistance, muni de tous les pouvoirs en attendant le retour du gouvernement, le 23 septembre. Blum reprocha à ses deux amis d’être absents « à un moment où tout était encore possible et qui, une fois passé, ne reviendra plus dans le cours de notre histoire. »20
Le 3 octobre 1944, une première réunion des cadres du parti socialiste eut lieu à Luxembourg en présence de Bodson. Celui-ci promit le retour de Blum amenant les prisonniers à sa suite, comme le joueur de flûte de Hamelin21. Le 30 octobre 1944 le Escher Tageblatt consacra sa première page au message reçu de Blum sous un titre très martial : « René Blum zeigt uns den Weg. Wir werden ihn gehen. » Le journal dit avoir reçu un programme rédigé par son président pendant son exil en France, en Amérique et en Angleterre.22
Le programme de Blum prévoyait de nationaliser la sidérurgie, les mines, les assurances, les banques et les chemins de fer, de créer des monopoles publics du blé, des combustibles, de l’alcool et du tabac, et d’élaborer un plan de cinq ans de grands travaux en vue de l’électrification des chemins de fer, de la construction d’un aéroport, d’un canal reliant la Meuse et la Moselle, d’une centrale hydro-électrique à Vianden et de logements à bon marché. Contrairement aux apparences, ce programme n’avait rien de révolutionnaire. Il reprenait d’anciennes propositions du Parti Ouvrier et des idées qui étaient devenues un bien commun en Angleterre et en France. Le but, c’était une démocratie sociale basée sur une économie mixte. Le moyen des réformes touchant à la structure sociale et aux rapports de propriété. Libérer la société de l’emprise du grand capital, créer un secteur public et orienter les flux financiers vers les besoins sociaux. Blum entendait se servir de l’arrêté-ministériel sur le séquestre des biens ennemis, élaboré à Londres23, comme d’un outil de transformation sociale, faire une épuration par le haut qui aurait pu faire l’économie de l’épuration par l’appel à témoins.24
En octobre 1944, l’Union des organisations de résistance se prononça pour un régime autoritaire basé sur la religion et les corporations. Blum était scandalisé : « Le programme de l’Unio’n m’a effrayé. Que comptes-tu faire ? Sont-ce tes amis que tu as soutenus pendant quatre ans et dans lesquels tu avais confiance ? »25 Bodson expliqua que les vrais résistants avaient été submergés par une masse de patriotes de la dernière heure constituée par les notables d’avant-guerre restés en place. L’épuration avait rempli les prisons et les camps de petites gens, conduisant à l’impression que c’étaient les classes populaires qui avaient collaboré avec l’ennemi. En même temps, le gouvernement ménageait les cadres de l’industrie, de l’administration et de la Justice pour faire face aux problèmes les plus urgents.26
Le 1er mars 1944, Blum se plaignit auprès de Bodson de l’inaction du parti socialiste et de l’absence totale de réactions à ses propositions. Il n’était pas réinscrit au Barreau, ne recevait aucun rapport des réunions, aucune lettre des militants. La méfiance s’installait: « Non – c’est encore toujours la politique de mon exil en France et plus tard : faire le vide autour de moi, m’écarter de la circulation. »27
Blum réagit avec indignation à la circulaire du ministère des Affaires Étrangères du 15 mars 1945 sur le retour des émigrés et déportés étrangers. Elle mettait en cause le droit d’asile et constituait un déni de tous les principes défendus par les socialistes. « Es trieft bloß von handgreiflichem Antisemitismus, da es bloß die Juden treffen kann ».28 La circulaire qui portait la signature de Bech et répondait à une demande de Bodson fermait la porte aux survivants des camps d’extermination qui désiraient rentrer dans le pays qui les avait accueillis en 1938.29 C’était la dernière lettre à Bodson.
Pendant que Blum accablait son collègue de reproches, la mission à Moscou restait sans résultat visible. Bodson l’avait amicalement mis en garde : « Ton avenir et celui du Parti compromis si reviens les mains vides. »30
Le gouvernement lui avait dit de ne pas insister sur la libération des prisonniers luxembourgeois et leur intégration à une unité combattante. Blum n’insista pas et proposa que la Grande-duchesse adresse un télégramme au président Kalinine pour remercier l’Union Soviétique de sa contribution à la victoire commune.31 Sa proposition resta sans suite. L’opinion publique n’avait pourtant jamais été aussi favorable à l’Union Soviétique.32
Blum demanda qu’on lui envoie un rapport sur les prisonniers soviétiques présents au Luxembourg et sur la solidarité manifestée par la population à leur égard. Blum apprit un mois plus tard que le chef de cabinet de Bech avait envoyé un communiqué à l’ambassade soviétique à Londres en laissant de côté toute mention d’une solidarité populaire, comme s’il s’agissait d’être débarrassé d’étrangers indésirables. Blum protesta : « Ihr lasst mich hier mit leeren Händen stehen ».33
On lui dit de demander aux Russes de lui fournir une liste complète de tous les prisonniers luxembourgeois, avec date de naissance, lieu d’habitation et lieu de détention, « au fur et à mesure de leur capture ». Le gouvernement estimait que c’était aux Soviétiques de faire le travail. Bodson : « Je pense que les camps de prisonniers russes doivent avoir des listes complètes des Luxembourgeois qui sont dans leurs cages de prisonniers... »34 Le journal communiste Volksstimme s’empara de l’affaire : « Was hat die Regierung unserem Vertreter in Moskau zukommen lassen, um ihm sein schweres Amt zu erleichtern ? » Blum avait-il inspiré l’article ?35
Blum avait reçu du gouvernement une première liste de soldats luxembourgeois en décembre 1944, elle portait sur 680 noms, une deuxième début 1945 de 736 noms et une dernière en mai 1945 avec 2.854 noms.36
Moscou, 4 avril 1945, Blum à Dupong :
« En ce qui concerne le problème de nos prisonniers, le travail de recherche et de récupération de nos nationaux est en plein cours à la suite de la communication de nos listes. Je dois dire que les autorités soviétiques, malgré la prédominance absolue de la guerre, les difficultés presqu’insurmontables parmi les millions de prisonniers répartis sur toute l’étendue de leur immense pays, le manque de personnel, notamment au courant de notre alphabet, le défaut de papiers d’identification des nôtres, montrent toute leur bonne volonté. »37
Les premiers prisonniers luxembourgeois furent libérés du camp de Tambov, le 15 mai 1945, une semaine après la capitulation du IIIe Reich. Il s’agissait de quatre Luxembourgeois qui avaient déserté le 2 juin 1943 et avaient servi dans l’armée soviétique comme propagandistes. Ils réussirent à rejoindre Luxembourg via Moscou, Odessa et Marseille par leurs propres moyens et apportèrent avec eux la liste des 350 prisonniers retenus à ce moment-là au camp de Tambov.
Les quatre prisonniers libérés par les Russes étaient pleins d’éloges pour le comportement des Soviétiques et considéraient qu’ils avaient été traités selon les règles de la Convention de Genève, mais ils s’insurgeaient contre l’inertie du représentant du Luxembourg à Moscou. « Wat dreiwt den Här Blum? » Pourquoi n’avait-il pas rendu visite aux prisonniers luxembourgeois ? Pourquoi n’avait-il pas répondu à leurs lettres ? Bech défendit Blum. Blum était loin, on pouvait le rendre responsable de toutes les omissions.
Le 12 mai 1945, un télégramme annonça à Blum l’arrivée à Moscou de son épouse, Anne Schinhofen, mandatée par la Croix-Rouge Luxembourgeoise, une fonction officielle qui lui permettait d’assister son mari. Blum s’installait définitivement à Moscou. La situation y était toujours aussi précaire. Blum utilisa la valise diplomatique pour se faire envoyer de la confiture de Londres, des potages en poudre, des livres et des cartes de visite de Washington. Il multiplia les relations dans le corps diplomatique, fréquenta les généraux Catroux et Petit de la France Libre, Averell Harriman, l’homme de confiance de Roosevelt et, en 1948, Golda Meir, ambassadrice d’Israël. De Gaulle le consulta en décembre 1944.38
Le 2 septembre 1945, le parti ouvrier réunit à Bonnevoie son « congrès de la paix », un congrès sans discussion qui vota à l’unanimité la confiance aux camarades ministres, adopta un « Appel au peuple Luxembourgeois » en vue des élections et élit un comité-directeur qui désigna Michel Rasquin comme son président.39 Aucune mention n’était faite du président sortant.40
C’était la fin de sa carrière politique, Blum était maintenant un diplomate accompli. Il possédait toutes les qualifications nécessaires : culture générale, connaissances de langues, sens du contact humain, ouverture d’esprit. Il avait appris la discrétion et la nécessité de se méfier de son enthousiasme juvénile. Il avait compris que le diplomate est un messager, un intermédiaire entre deux mondes, deux pays, tenu à une double loyauté envers celui qui l’envoie et envers celui qui l’accueille.
Blum n’avait pas choisi ce poste et ce métier. Il avait été choisi en raison de ses critiques envers la politique du gouvernement. Le gouvernement avait pris Blum pour se sortir d’une impasse. Blum était l’homme de la situation à un moment où les ennemis d’hier se retrouvaient pendant un court laps de temps. Blum crut à la pérennité du rapprochement entre l’Est et l’Ouest, à l’importance du dialogue et des échanges.
Il resta à son poste quand les difficultés s’annoncèrent et que les deux mondes auxquels il était attaché s’éloignèrent jusqu’au bord de la rupture et de la guerre. Il continua à transmettre au gouvernement luxembourgeois le point de vue soviétique comme il transmettait aux autorités soviétiques le point de vue luxembourgeois, sans se rendre compte que le monde était entré dans l’ère du soupçon, de la chasse aux sorcières, de la confrontation des Blocs. Ce n’était pas Blum qui avait changé, mais le monde. Blum avait été d’abord un alibi, ensuite un bouc-émissaire. Maintenant sa compréhension envers les arguments de l’ennemi devenait insupportable. Le gouvernement le laissa parler et ne tint aucun compte de ses avis.41 L’homme qui en 1937 avait fait tomber Bech et empêché la loi-muselière était condamné au silence. Il devint invisible, exclu des débats d’après-guerre.
Blum avait été choisi pour une mission qui devait durer deux mois. Il resta douze ans à Moscou, d’abord contre son gré, ensuite au-delà de l’âge de la retraite et en dépit de ses ennuis de santé.42 Il vécut la crise de Berlin, la guerre de Corée, assista à l’enterrement de Staline et aux premiers soubresauts de la déstalinisation. Une certaine lassitude, une forme de résignation ou de routine s’est-elle finalement emparée de lui ? Pourquoi n’a-t-il pas claqué la porte, comme il l’avait fait tant de fois dans sa vie ? Pourquoi le gouvernement l’a-t-il gardé à son poste, envers et contre tout ?43