Trop souvent après les représentations, devant les salles, on entend des « tu étais magnifique ma chérie », « j’ai a.d.o.r.é. » ou encore de frêles « bravo », pour que s’embrayent dans le pas – ceux qui ramènent la foule au parking – d’autres commentaires finalement moins flatteurs. Les vrais sentiments ne sont jamais livrés en face à face. Il est vrai qu’il est difficile de critiquer un travail qui nécessite labeur et abnégation. Pourtant, on a moins de mal à le faire sur le net, caché derrière nos écrans, ceux-ci pullulant de remarques parfois douloureuses à lire, souvent sans rage, propre aux goûts et couleurs, mais, à priori, sincères. Car la plus belle critique qu’on puisse faire à un artiste est celle de l’honnêteté. Celle-ci pousse au dialogue, au débat, à la remise en question, au travail, et surtout à grandir.
Sex with strangers n’est pas le genre de spectacle qu’on irait spontanément voir. Mais est-ce suffisant pour influencer notre jugement, au point de ne pas avoir trois mots à en dire ? Peut-être. Mais force est de dire que malgré le travail palpable, la mayonnaise ne prend pas. Pourtant, impossible de jeter la faute sur l’équipe de cette création, tous ayant largement trouvé à nous convaincre à plusieurs reprises, dans d’autres cadres. Claire Cahen (dans le rôle d’Olivia Lago) était splendide dans Understandable (de Shiro Maeda, mis en scène par Jean De Pange). Sullivan Da Silva (interprétant Ethan Kane), qu’on nous a rapporté très bon dans Truckstop, plein de « gouaille », selon France Clarinval (de Lot Vekemans, mis en scène par Daliah Kentges). Tullio Forgiarini (qui a traduit la pièce de l’anglais au français), auteur précieux du paysage local, dont le c.v. n’est plus à faire. Et Véronique Fauconnet (qui signe la mise en scène), dont le percutant Vincent River de Philip Ridley, monté en 2018, nous avait charmé, fidèle à la description qu’en a fait Fabien Rodrigues dans nos pages, « hommage vibrant et bourré de sentiments dans cette version très réussie du Tol ».
Et puis, rappelons quand même que le Tol est le seul théâtre du coin à s’attaquer à ce type de textes, c’est louable tant l’entreprise est complexe dans un paysage théâtral où les pièces d’autres genres abondent. Alors, comment expliquer notre déception ? Sûrement en revenant à la source, la base du projet de création : le texte.
Dans la grande lignée des textes américains modernes, mêlant politiquement incorrect, mélo, et érotisme, l’écrivaine Laura Eason – également scénariste pour la série House of Cards, ou du film Here and Now – accroche son récit autour de la rencontre entre deux auteurs séparés par un fossé culturel et générationnel. Ethan et Olivia se rencontrent dans un gîte isolé du monde par une tempête de neige. Lui, 28 ans, est connu sous le nom de « Ethan Strange », pour son blog égotripé, racontant avec grossièreté ses exploits sexuels, tout en déshumanisant ses partenaires. Elle, 39 ans, est une enseignante bien sous tous rapport, auteure publiée en pleine stagnation, terrorisée à l’idée de partager son second bouquin, après le flop commercial du premier.
Le cadre est ainsi posé et l’ambiance amène à comprendre les premières scènes comme inspirées d’un fantasme aussi banal qu’insipide, celui de l’enseignante proprette, dévergondée par ce fumiste à qui tout réussi sans efforts. D’abord elle dit non, répugnée, puis ils le font quand même, les différences fascinants et excitants l’une et l’autre… Ils n’ont rien en commun, mais « les opposés s’attirent », parait-il, alors ils « baisent », meilleur remède à leurs désaccords intellectuels et sociaux. En fait, ce sont deux mondes qui s’opposent, mais aussi deux générations, dans le texte en tout cas.
Si l’on peut comprendre le recrutement de Sullivan Da Silva, et de Claire Cahen, auxquels on ne peut adjoindre que des qualités, leur association pour ce duo entre deux décennies ne nous a pas tapé dans l’œil. Da Silva a trop de douceur en lui pour rendre ce petit con d’Ethan, aussi abominablement nihiliste qu’il devrait, et Cahen trop d’allure pour ce personnage de vieille fille dévolue à l’enseignement. Alors, s’ils « font le taf », comme on dit, on perd pourtant la grande et unique ligne dramaturgique de ce texte – finalement assez plat dans le fond – l’idée d’une romance intergénérationnelle.
En effet, dans Sex with strangers, bien qu’il se concentre un discours fort sur la cacophonie des réseaux sociaux, sur le qu’en dira-t-on et sur l’idée de vie privée et vie publique, il s’agit aussi et surtout d’une histoire d’amour entre deux « types » de personnes très dissemblables, ou incompatibles, qui ne comprennent pas le monde de la même manière, l’un s’engouffrant dans le virtuel, et l’une attachée au papier. Finalement, chacun prendra un peu de l’autre, voire beaucoup trop de l’autre, pour embarquer le spectateur dans l’intrigue – si l’on peut appeler cela ainsi – , construite uniquement des questionnements intérieurs de personnages à faux problèmes.
Là est notre déception, tant les ressorts de ce texte n’auront éveillé que peu d’intérêt. « Je n’ai absolument rien ressenti », avons-nous entendu à la sortie. Et c’est bien le problème qu’on aime ou non un spectacle, il s’agit de ressentir au moins l’un ou l’autre… Après, tout cela est bien relatif, d’autres auront sûrement trouvé ce qu’on a peiné à chercher, cet avis s’ajoutant aux centaines d’autres, certainement très différents, que la pièce aura connu sur sa dizaine de dates à guichet fermé.